Le rouge-gorge nous interpelle.

Le temps est radieux depuis quelques jours déjà. On se croirait au cœur du printemps si la fraîcheur du soir et du matin ne nous rappelait que nous sommes toujours en hiver. Ce n’est point de bon augure car avec cet anticyclone qui s’est installé durablement au-dessus de nos têtes, la sécheresse menace, alors que les fruitiers préparent en secret l’éclosion printanière de leurs bourgeons. Espérons que mars sonnera le retour des giboulées pour arroser la végétation en attente de renouveau.

Ce matin, je plantais mes pommes de terre. Je ne me préoccupe pas de la lune montante ou descendante, j’ai toujours fonctionné ainsi en faisant à chaque fois des récoltes satisfaisantes. Pour la première année, je n’ai pas bêché profondément car les ans se sont accumulés sur mes vieux os, je pratique un sarclage de surface avant de planter.

Il me semblait bien que le rouge-gorge, d’ordinaire si preste à venir me surveiller durant le labour, n’était pas au rendez-vous cette année. Cela faisait quelques jours que je travaillais la terre sans le voir. Il n’a pas tardé à se présenter à quelques petits mètres de moi, d’abord sur un piquet puis sur un sarment de vigne pour mieux scruter le terrain.

 

On a pris l’habitude de dire « courageux ou curieux comme un rouge-gorge » en le voyant se tenir si près du bêcheur. Je cogitais. Je me remémorais la pensée de Gaston Bachelard. Selon lui, la connaissance scientifique se construit sur des allers et retours entre expérience et raison qui se corrige elle-même pour produire des théories qui ne sont jamais figées. Les obstacles affectifs de l’homme influent sur son univers mental et l’empêchent de progresser dans la connaissance des phénomènes de la nature. Ce rouge-gorge, sous mes yeux, est-il si curieux et si courageux ?

« L’esprit scientifique doit se former contre ce qui est en nous et hors de nous l’impulsion et l’instruction de la nature » disait notre philosophe. L’impulsion de la nature, notre anthropomorphisme, notre égocentrisme, nous conduisent à humaniser nos explications. De la même manière, l’instruction de la nature c’est-à-dire le spectacle qu’elle nous donne à voir est tout aussi trompeur. Il n’y a de science que du caché, l’esprit scientifique lutte sur ces deux fronts de l’impulsion et de l’instruction de la nature.

Je regardais ce rouge-gorge et ne lui trouvais aucun courage ni aucune curiosité et en versant dans un autre égocentrisme, je l’imaginais plutôt malin, intéressé et paresseux. Intéressé car il a faim, paresseux parce qu’il va au plus simple, il attend que l’on retourne la terre à sa place pour déloger les lombrics enfouis dans le sol. En somme, il n’a rien à faire de notre présence, peut-être sait-il par expérience que les annélides*  ne tardent pas à repiquer dans la terre humide, mieux vaut être présent lorsqu’ils gigotent pour s’enterrer à nouveau, après, ce sera trop tard.

Ceci dit, je suis le premier à poétiser sur les choses de la nature. C’est bien plus agréable à lire, à rêver. Alors, je rêve souvent. Aujourd’hui, j’ai souhaité mettre une sourdine car je ne perds jamais de vue que mes élucubrations restent fallacieuses.

J’avais quelques images à vous présenter, peut-être vous enchanteront-elles bien plus que la leçon d’épistémologie* bachelardienne. Songez-y tout de même, cela épargne bien des égarements en évitant les erreurs d’un jugement hâtif et trompeur. Si ce dernier devient habitude, on perd le sens de la réalité, on se fait des illusions en prenant les vessies pour des lanternes.

*Annélides=lombrics

*Epistémologie= Étude critique des sciences, destinée à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée (théorie de la connaissance).

 

 

J’arrive !

 

 

 

Pourquoi tu t’arrêtes ?

 

 

 

 

 

Tu peux continuer, ne t’occupe pas de moi !

 

 

 

 

 

Une seconde, j’ai le bec plein !

 

 

 

 

 

J’ai presque fini !

 

 

 

 

Voilà, t’as pas une serviette ?
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