Polo.

J’écris volontairement Polo et non Paulo, je trouve que cela correspond mieux au personnage.

Polo vient de tirer sa révérence dans le courant du mois de janvier. On ne le voyait plus sur la Piazzona depuis qu’il finissait ses jours à l’EHPAD de son village.

C’était un passionné de foot. Il était quasiment impossible d’engager une conversation avec lui sans évoquer, à un moment ou un autre, son sport favori. Il avait des avis tranchés, calqués sur les valeurs de naguère lorsqu’il gardait les buts de l’Union Corse de Paris et ceux de Lévie durant ses vacances estivales au village.

Je l’ai vraiment connu dans les années soixante lors des tournois de foot à Ciniccia, très en vogue dans la région. Le gars était solide et constituait un rempart rassurant pour toute l’équipe. C’était un costaud qu’on aurait pu surnommer le Roc de l’Alta Rocca. Chaque fois qu’il pénétrait en tête sur le terrain, à l’époque nous faisions notre entrée en diagonale, chaque équipe partant d’un coin de corner opposé, il imposait sa carrure à la vue de tous et comme si cela ne suffisait pas, dès qu’il parvenait dans le rond central, il décochait un puissant uppercut au ballon qui s’élevait très haut à la verticale. C’était un rituel incontournable. De la sorte, il donnait l’exemple, invitant son équipe à avoir la niaque pour défendre les couleurs du village. Il en imposait par sa présence dans la cage lévianaise, on avait l’impression qu’il prenait toute la place et mieux valait ne pas aller au contact avec lui tant il était solide mais sans aucune méchanceté. Dans le milieu du ballon rond on se respectait, tous les joueurs des environs se connaissaient.

Ces dernières années, lorsque je le rencontrais sur la place de l’église, je lui rappelais quelques anecdotes.

Bona était son ami et rêvait de jouer un jour dans l’équipe du village. C’était un animateur hors pair dans les fêtes lorsque les orchestres faisaient une pause après minuit, mais balle au pied, il était très maladroit. Il se mettait en tenue avant chaque match et participait à l’échauffement avec le secret espoir de figurer dans l’équipe. Une année, à la faveur de nombreuses défections, il fut installé arrière gauche contre la volonté de Polo qui le connaissait par cœur. Entièrement centré sur son personnage, totalement dénué de l’esprit d’équipe, toujours tête baissée, Bona s’embrouillait tout seul jusqu’à se faire un petit pont bien involontaire. Les spectateurs étaient aux anges. Polo criait beaucoup pour le diriger et ce faisant, le contrariait encore plus. Ce qui devait arriver arriva. Pressé par un adversaire, Bona fit un petit pont magistral au gardien, adressé d’un pointu très appuyé et marqua contre son camp. Cette action déchaina l’ire de Polo : « Oghji ci vulia metta à Vintura ! A sapiu, un hè bonu da nuda ! » (Aujourd’hui, il fallait Bona ! Je le savais, il n’est bon à rien !) Pour Polo, au foot on ne plaisante pas, mais hors des terrains Bona était son protégé à Paris comme partout ailleurs.

A l’occasion d’un match amical contre Quenza, je n’étais pas retenu dans l’équipe lévianaise. Me voyant sur la touche, les quenzais, incomplets, me demandèrent si je voulais jouer avec eux. Vous imaginez ma joie c’était la meilleure équipe de l’Alta Rocca avec celle d’Aulène. Je m’en souviens très bien, un vieux monsieur, pince sans rire, m’avait donné un billet de cinq francs pour m’encourager à marquer contre mon village. Au cours d’une action, je me suis trouvé face à face avec Polo. Il se présenta devant moi comme un aigle, les ailes déployées et me lança : « Ma sé tontu, à da marcà contra à Livia ! ». (Tu es fou, tu ne vas pas marquer contre Lévie !) Je fus impressionné et mis le ballon à côté. Mon rappel l’a beaucoup fait rire, il ne s’en souvenait plus.

Il avait gardé ce côté entre sérieux et plaisanterie. On ne savait jamais à quel niveau prendre ses remarques toujours très appuyées. Lorsque je l’ai rencontré la dernière fois, j’étais en conversation avec une personne qui me demandait ce qu’était devenu Sylvain, un autre joueur de l’équipe de Lévie. Lorsqu’il apprit que Sylvain est mon frère, il était très surpris et montrait son grand étonnement avec de grands yeux ébahis. Polo qui nous écoutait depuis un moment, lui tapa sur l’épaule et lui dit : « Ma dà dù sorti tu ? Tutta à Corsica a sà ch’iddi sò fratedda ! » (Mais d’où sors-tu, toi ? Toute la Corse sait qu’ils sont frères !) Ceux qui comprennent le corse retrouveront là son trait de caractère mi sérieux mi facétieux.
Ti n’invenni ô Polo ? (Tu t’en souviens Polo ?)

Ici à gauche sur la place de l’église, toujours à l’affut d’un bon mot.

Gardien de l’équipe de l’Union Corse de Paris lors d’une finale de la coupe de Paris au Parc des Princes avant sa rénovation.

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6 Comments

  1. Ce fameux Polo était mon papa.
    Merci pour ce gentil récit qui résume bien qui était mon père.
    Un père aimant, un homme bienveillant dénué de méchanceté.

    Nous avons eu la chance avec ma sœur de l’accompagner dans ses derniers instants.
    Il s’est éteint paisiblement sans souffrir et nous étions là pour le rassurer face à la mort dont il avait si peur.

    Et j’ai eu la chance de pouvoir lui dire une dernière fois combien je l’aimais.

  2. J ai eu la chance de connaître et de m occuper de ce grand monsieur à l ehpad , il était toujours content de me voir et c était réciproque, il m a apprit beaucoup , on pouvais discuter de tout et de rien et on adorais rigoler ensemble, bref polo tu vas me manquer mon chéri ( comme je t appelais en entrant dans ta chambre ) aurevoir grand monsieur …

  3. Belles anecdotes parmi tant d’autres qui remontent au coeur de notre mémoire. Souvenirs impérissables car Polo était un personnage. Son humour va nous manquer, sa gentillesse aussi. C’était un solide gaillard, un brave homme qu’on a connu et admiré au fil des décennies lévianaises. Adieu l’ami, Polo, et même Au Revoir.

  4. Toujours triste(s) quand une personne que nous avons connue s’en va.
    Je me souviens bien de lui et de sa bonne humeur lorsqu’il passait au magasin de ma grand-mère et de mon oncle. On savait qu’il était arrivé en vacances…
    Ton message est un bel hommage.

  5. Merci pour cette gentillesse qu il aurait fort apprécier
    Mon papa était quelqu’un de juste extraordinaire et com l a dit si justement mon frère nous avons eu la chance de l accompagné il était apaisé de nous voir tout les 3 réunis pour juste un au revoir car papa ce n est qu un au revoir
    Nous avons pu lui dire juste qu on l aimait tous simplement.
    A tout jamais dans notre cœur veille sur nous de la haut . Je t aime

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