J’ai probablement déjà raconté ces anecdotes dans un coin du blog, ça rafraîchira la mémoire.
Lorsque j’étais au CM2 de Lévie, je galérais. Ma faible capacité de lecture ne me permettait pas de briller même si j’étais posté au premier rang. Le maître m’avait installé près du bureau pour mieux me surveiller ou plutôt, pour mieux me stimuler. Au fond de la classe, je me serais peut-être endormi. Il avait promis à mon père de s’occuper de moi, plein d’espoir, bien décidé à me sortir de l’ornière.
A l’âge de cinq ans, traité avec des médicaments ototoxiques* aux effets secondaires méconnus à l’époque, j’ai failli devenir totalement sourd. Mon audition fut sérieusement ébranlée au point de retarder tous les apprentissages fondamentaux. Une lecture difficile et une orthographe catastrophique. J’aurais décroché la médaille d’or de la faute orthographique si une telle compétition avait existé. Malgré toute la bonne volonté d’un maître attentif, je pédalais dans le vide plus que dans la choucroute. L’instituteur dévoué mettait toute son énergie pour m’éveiller et me sortir d’une torpeur morbide (maladive et non mortifère). Totalement replié sur ma petite personne, j’étais d’une timidité à me faire repérer immanquablement tant mon retrait était criant. Alors, il me sollicitait sans arrêt. Il organisait même des scrutins pour nous former à l’instruction civique et me bombarda candidat dès la première fausse municipale. J’étais très fier de ma campagne car je fus élu. J’ai retrouvé un peu le sourire mais cela ne fut pas suffisant pour me rapprocher de la chose politique. Déjà, mon opposant de l’époque et moi-même, faisions campagne en promettant gâteaux Alsacienne glacés à l’orange et de la bonne limonade artisanale. Instinctivement, sans rien connaître au pouvoir politique nous cherchions à pervertir nos électeurs. Basta ! J’en ai gardé une terrible méfiance…
Un jour, l’instituteur m’envoya annoncer une nouvelle à l’étage supérieur occupé par le collège. Je devais porter une missive au directeur, dans sa classe. Vous ne pouvez imaginer les trésors d’invention que je devais développer pour que cette mission, anodine pour le commun des mortels, soit une réussite pour moi. Je savais que je n’entendrai pas le signal « Entrez !» en tapant à une porte. Ce n’est rien, eh bien ! Figurez-vous que c’était une torture pour moi puisque j’étais condamné à gaffer. J’avais imaginé une petite stratégie qui fonctionnait le plus souvent et qui fit chou blanc ce jour-ci. Je tapais très fort pour être certain d’être entendu, j’attendais quelques secondes en pensant ce laps de temps suffisant pour qu’on me commande d’entrer, puis j’ouvrais la porte. Ce jour-là, vous disais-je, ma stratégie a foiré. J’ai toqué fermement. Très fermement. Lorsque je suis entré sans entendre le sésame, le directeur m’interpella instantanément :
– Imbè, tà un pichju dà scità i morti ! Sorti, pichja piu pianu e aspetta che ti digu d’entra ! (Eh bien, tu as une façon de taper à réveiller les morts ! Sors, tape plus doucement et attends que je te dise d’entrer !) Vous imaginez mon état. Je suis ressorti, j’ai tapé modérément, j’ai collé aussitôt mon oreille contre la porte pour entendre l’injonction d’entrer. Personne ne s’imaginait dans quelle galère j’étais. J’avançais à petits pas pesés, mesurés et surtout calculés. Cela contribua, à n’en pas douter à me forger un état d’esprit qui pénètre au fond des choses.
Ceux qui suivent ce blog connaissent la suite. Les coups chanceux comme les plus tordus. Mon séjour écourté à l’armée fut l’un des plus pénibles. On m’expédia dans un bataillon semi-disciplinaire en Allemagne car lors des trois jours à Tarascon, un gradé otorhino avait cru détecter une fausse surdité. Il me promit bon dressage… Le séjour allemand fut digne des Charlots en vadrouille.
Mon entrée dans l’éducation nationale fut une autre galère. A priori, je n’avais aucune chance d’y faire carrière. La bonne fortune ne m’a jamais abandonné grâce à des personnes, inspecteurs et inspectrices notamment, qui ont su détecter en moi quelques qualités pour enseigner et m’ont protégé discrètement.
La première année, je fus bombardé prof d’histoire, une matière qui me rebutait à l’école. Je devais préparer mes cours à l’Inspection Académique de Versailles dans le bureau de l’inspectrice qui me demandait de faire démonstration devant elle avant de me lâcher dans le collège. Je remplaçais une prof en fin de carrière et fortement dépressive. J’ai compris pourquoi dès le premier jour. Une classe surchargée, des élèves ingérables dont un jouait le rôle de Nikita Khrouchtchev en tapant bruyamment avec une chaussure sur la table. Tout frais sorti de ma campagne, j’ai compris que c’était cuit si je n’intervenais pas de manière musclée. La psychologie ne me semblait pas adaptée dans ce cas. J’ai empoigné le garçon déjà plus grand que moi, par le col, il m’a suffi de le regarder droit dans les yeux. Cela a jeté un froid dans la salle qui s’apprêtait à faire la foire. J’ai eu la paix durant le reste de mon séjour.
L’année suivante fut un bonheur. J’étais nommé professeur de sciences naturelles, c’était plus dans mes cordes puisque de formation scientifique en toute modestie, dans un très grand CES de la région parisienne et prof de musique de surcroît. Avec cette dernière matière nous avons bien ri, je ne connaissais rien à la musique… Le piano s’en souvient encore. C’est de la sorte que nous faisions nos classes, on nous formait sur le tas. Je fuyais la salle des profs, j’y mettais rarement les pieds, me sentant plus intrus que bien venu. Je croyais que ma place était auprès des gamins, alors je faisais récré avec eux en jouant au foot. Elèves comme profs étaient très étonnés de cette attitude inédite. J’avais tout un bataillon d’enfants qui me suivaient partout comme à la parade. Cela fit rire et rendit joyeuse une dame professeure de français proche de la retraite qui me demandait ce que j’avais fait pour avoir cette adhésion de la gente collégienne…
A la rentrée d’après, me voilà dans une école d’application rattachée à l’école normale. Nous devions faire une recherche en mathématique tout au long de l’année, ce fut génial dans tous les domaines. Je n’entre pas dans les détails on n’en sortirait plus. J’étais entouré de vieux instituteurs de haute volée. C’était amusant de les voir avec leur pipe et le plus docte d’entre-eux avec un brûle-gueule. Ils avaient de l’allure, le port altier de circonstance alors que je regardais le bout de mes chaussures. L’autorité naturelle et le sens pédagogique bien chevillé à leur pratique. Un souvenir impérissable avec des anecdotes précises très amusantes, mais bon, il faut bien finir ce texte… Bref, une année riche en choses de la vie.
Et puis ce fut l’envol lorsque je fus pressenti pour mettre en place les premiers groupes d’aide psychopédagogiques dans la ville des Mureaux avec une équipe de trois personnes, dont deux psychologues. Cette fonction n’existait pas, nous essuyâmes les plâtres cette année-là avant qu’une formation sérieuse et solide ne soit mise en place à l’Ecole Normale de Versailles. L’inspecteur faisait son apprentissage avec moi, puisque tous les soirs je devais lui rendre compte précisément de mes rééducations de la journée… Le système était lancé.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, j’allais venir en aide aux enfants en grande difficulté d’apprentissage scolaire. Un spécialiste de l’anti-torture scolaire. Un travail qui m’a passionné. Guidé par la recherche permanente à la lumière des cas qui m’étaient présentés, je n’ai cessé d’apprendre les choses de la vie. Du sur mesure, un regard bienveillant, une relation tournée vers l’écoute avant tout. Un ancien galérien allait mettre son expérience passée au service de ceux qui se débattaient pour échapper au bagne. Une belle aventure et un pied de nez à mon passé douloureux. Mon père et tous les miens qui ne s’attendaient pas à une telle histoire, ont respiré quelques bouffées de joie et connu enfin le sourire apaisant.
La vie n’est pas simple mais à y coller au plus près, que la vie est belle !
*Médicaments ototoxiques= C’étaient des médicaments destinés à soigner des inflammations graves d’origine bactérienne. A fortes doses, ils détruisaient le nerf auditif et causaient surdité totale ou partielle. Cet effet secondaire n’était pas connu à l’époque.
Vous avez déjà vu cette image, c’était mon dernier jour dans l’école d’application de Vauban à Versailles. Je n’ai plus travaillé dans une classe après celle-ci avant mon retour en Corse. Je crois que cette photo résume bien l’état d’esprit de mon parcours : nous étions unis et voyagions tous ensemble. Une belle aventure.
J’avais retenu l’essentiel via les lectures successives de tes textes. Pourtant, la mémoire rafraichie et quelques anecdotes complémentaires m’ont fait grand plaisir. A te relire.
Belles anecdotes pour une époque incomparable où l’avenir paraissait plein de promesses ! (les trente glorieuses)… Souviens-toi, Simon d’un été studieux au milieu des années 1960’s (1964-67 ??) où mon paternel pensant à juste titre que j’avais besoin de cours particuliers (de français ou de math ?? J’ai oublié, avec le temps… ?) car j’adorais à cette époque les derniers bancs de la classe jusqu’à l’école buissonnière !… Je n’étais pas encore enclin à découvrir les bienfaits des connaissances scolaires, lui préférant les petits dessins dans les marges des cahiers ! Rêveur j’étais. Et donc, toi Simon, tu fus très jeune, pressenti pour me dipenser des cours particuliers (de français ou de maths ?) à l’école primaire (celle du préau ovale !) et qui me furent très profitables. Tu étais un excellent pédagogue.