Bison écorné.

Ce récit va vous sembler légèrement abracadabrantesque. C’est l’effet recherché, tout va bien.

Je suis un facétieux à mes heures, mais pas un timbré totalement inconscient qui parle avec les animaux ou les objets inanimés. Souvenez-vous, un jour, alors que les mésanges bleues semblaient en quête d’un lieu à l’abri des regards pour y fonder famille, j’avais construit un nichoir sur la cabane bleue et posé une pancarte bien visible sur le passage : « Couvaison 2016, 25 cm2 habitables, loyer modéré pour mésanges ». Vous imaginez facilement qu’il s’agissait d’intriguer le passant plus que d’informer les oiseaux. Ils n’ont point besoin de passer par une agence fut-elle déjantée comme la mienne pour élire domicile. Dans cet endroit peu fréquenté, l’ennui guette alors il faut le tromper. Est-il besoin de le préciser ?

L’effet de surprise est immanquable. Soit on éclate de rire en découvrant l’écriteau, soit on se tamponne la tempe en imaginant que cela ne va pas très bien par ici. Quelqu’un y vit et il est marteau. Cette dernière réaction est typique des gens dépourvus d’humour et qui fonctionnent exclusivement au premier degré. C’est très variable, on ne rencontre pas que finesse au bout du chemin…

J’avais entrepris de construire deux piliers distants de quatre mètres pour y poser un planchon métallique en vue de réaliser une couverture. Je n’ai trouvé personne pour m’aider à monter la lourde charge sur les supports, je me suis résigné à changer de procédé. J’ai dû abandonner un pilier, devenu totalement inutile, une érection insensée, une stèle sans âme qui pointait bêtement vers le ciel. Il n’y a pas meilleur sujet pour intriguer les curieux. Cela n’a pas loupé. Inévitablement, chaque visiteur de passage s’interrogeait « A quoi donc sert cette élévation oisive ? » Fatigué de devoir expliquer inlassablement mon infortune, j’ai décidé de transformer mon pilier en totem.

J’adore les histoires d’indiens et les récits sauvages. Je n’eus aucun mal à imaginer que ce pilier pouvait devenir le gardien d’Archigna. Son regard était tourné vers la vallée, il m’a suffi de lui coller une casquette avec une tuile qui traînait et de lui fixer une corne que j’avais sculptée dans une branche de chêne dont la courbure était parfaite pour réaliser l’objet convoité. Il ne me restait plus qu’à rendre la stèle facilement identifiable pour éviter à chacun de se creuser les méninges. Sur un bout de tuile, j’ai inscrit à la disqueuse « Bison écorné ». Je croyais avoir donné vie à ce poteau bétonné, que nenni, l’indication n’était pas suffisante. Certains voyaient bien un personnage au regard lointain ressemblant vaguement à un totem indien, mais pourquoi écorné ? Mystère. C’était pourtant simple, il n’avait qu’une corne et lorsque l’autre est absente, il y a de fortes chances pour que la bête soit écornée d’un côté.

Je tombais donc de Charybde en Scylla. Au lieu de s’étonner de la présence d’un pilier inutile comme avant, les visiteurs s’étonnaient de ne point voir d’indiens à l’horizon. Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’indiens dans un endroit pareil où l’on rencontre plus de sangliers que de mustangs ? Faut-il être barjot pour inventer des choses pareilles ? Mon truc ne fonctionnait que rarement. On s’extasie plus facilement devant une sculpture énigmatique, in-décryptable, puisqu’on la qualifie d’œuvre d’art c’est qu’elle doit raconter quelque chose. Pas là, c’est n’importe quoi, on n’est pas dans un musée…

La vie n’est pas simple surtout lorsqu’on cherche à la compliquer. Avoir l’imagination fertile ne fertilise pas celle des autres. Faut-il avoir un petit grain alors ? Que nenni, que nennon ! Il suffit d’aimer la vie, de faire vibrer le moindre recoin, d’éclairer la moindre parcelle obscure pour donner âme à ce qui se tapit dans les zones d’ombre.

Si vous saviez comme je m’amuse et comme je trouve belle la vie ! Et je vous assure, je suis parfaitement normal, tout juste un peu de malice dans les yeux. Pensez-vous que je sois un oisif total pour foisonner de tant de futilités ? Non, j’aime utiliser mes neurones dans tous les sens pour faire vivre ce qui d’ordinaire semble inerte et sans intérêt a priori. Ma part de sérieux est encore trop grande, malgré la gamberge débridée.

Je n’ai pas à me plaindre de mes neurones, ils me font voyager avec le temps et me font copiner avec lui. C’est pour moi, la meilleure chose à faire pour traverser cette vie… Enfin, je crois… C’est bien mon affaire et je m’en occupe… pas trop sérieusement, bien entendu !

La mésange bleue s’installe. (Cliquez sur les images)

1 Comments

  1. Quelle imagination, quelle sensibilité !! Votre facilité d’expression me rend admirative Simon et c’est toujours avec un plaisir émerveillé que je découvre votre prose …Chapeau!

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