Evidemment, j’aurais aimé être un chanteur. Je m’y suis essayé secrètement. Très vite, je me suis aperçu que je n’avais aucune aptitude pour cela et donc aucune chance d’être sélectionné, un jour, pour The Voice. Mais j’aime la musique.
Cette fausse entrée en matière m’a traversé l’esprit pour digresser un peu. C’est toujours sympa de se promener, de divaguer à côté du sujet. Je n’ai pas soudainement décidé de m’attaquer aux tessitures, d’étudier les différences entre barytons, ténors et sopranos. Je n’y connais rien. Portant, l’Education Nationale m’avait bombardé, pour mon premier poste à Vélizy dans les Yvelines, prof de musique dans une classe de sixième. Vous m’imaginez dans un immense collège de près de mille élèves, perdu dans un monde nouveau à peine sorti de ma Navaggia presque sauvage ? Un premier job qui vous promet d’accéder à l’étrier ça ne se refuse pas. Ce n’était pas une extravagance de l’administration puisque je remplaçais pour une année entière un professeur de sciences naturelles qui avait, pour parvenir à son quota horaire, quelques heures musicales à assurer. Côté sciences, j’étais plutôt à l’aise mais versant salle de musique c’était comique. J’ai le souvenir d’une année magnifique, avec mon sérieux et ma légendaire implication, je m’en suis bien sorti. J’ai réussi à tenir le cap en ne connaissant rien de Mozart et compagnie, des croches, blanches, noires et rondes. Je naviguais avec les enfants pour les intéresser de mon ignorance. J’ai même démonté le piano pour leur montrer ce qu’il avait dans le ventre. Nous découvrîmes cordes frappées par des marteaux en bois, des étouffoirs enrobés de feutre pour éteindre les notes, tendeurs, chevalet et tout le toutim… bref tout ce qu’un facteur de piano répare et entretient en jouant au chirurgien de l’instrument à queue, parfois droit. L’année fut mémorable. J’appris beaucoup de choses avec cette originalité qui aurait pu dégoûter un monde, qui finalement aiguisa la curiosité des enfants. Ce ne fut qu’une étape pour me mettre en confiance afin de prendre le temps de m’informer puis retomber sur des pattes musicales. L’histoire de l’épinette qui enfanta le clavecin et celle du tympanon qui devint piano m’ouvrirent les horizons sur les instruments à cordes pincées (clavecin) et celles à cordes frappées (piano) sans jamais flatter un clavier. Une belle aventure qui resta sans suite.
Non, rien de tout cela. Octave était un vieil homme paisible toujours souriant. On aurait dit que les dieux de la risette l’avaient choisi pour représenter la joie sur terre. Je l’ai toujours connu ainsi, bienveillant, toujours prêt à faire plaisir. Figurez-vous que parfois, en lui rendant visite dans son studio cossu de la Baie des Anges, je le surprenais sur le point de passer à table avec cinq gâteaux rien que pour lui. De la pâtisserie fraîchement sortie du magasin d’un pâtissier de talent. Il avait un faible pour les crèmes et notamment la Chantilly. Il raffolait de cette légèreté sucrée, de ce côté vaporeux qui posait un gros flocon de neige sur son nez chaque fois qu’il allait cueillir une bouchée. Devenir clown au nez blanc le mettait en joie, je le soupçonnais de s’amuser ainsi, en jouant un numéro de cirque. Aussitôt, avec mon intrusion inopinée, il repartait à la pâtisserie et revenait avec le double de sucreries. C’était notre repas avec une demi-bouteille de champagne. Toujours.
Cette propension à la facétie et au plaisir des papilles cachait-elle quelque chose ? Il vivait seul et n’avait aucune compagnie. Il distribuait sa bonne humeur à qui le croisait dans la rue de sorte que chaque inconnu se persuadait que ce grand gaillard, élégant et courtois, finissait paisiblement sa belle vie.
Il était originaire d’un petit village d’Auvergne. Quelqu’un de mon voisinage l’avait connu très jeune, là-bas. Puis, ils s’étaient perdus de vue. Une cinquantaine d’années plus tard, ils se rencontrèrent sur le marché de Bastia. D’abord incrédule, la personne qui le reconnut prit soin de s’assurer que c’était bien lui. Les retrouvailles ne tardèrent pas. Il tenait une mercerie dans la ville du Nord de la Corse. C’est à la faveur de ces retrouvailles que je fis sa connaissance lorsqu’il repartit à Nice pour y couler sa douce retraite. Il s’est éteint dans la presque indifférence de sa maigre famille qui se manifesta seulement pour l’héritage.
En haut de sa baie des Anges
Dans son joli studio cossu,
Entouré de beaux tissus,
Il souriait aux anges…
Son compagnon parti
Pour un autre petit ami
Jamais ne s’en remit.
Alors pour égayer sa triste vie,
Isolé comme un maudit,
Prit pour compagnie
Nombreuses sucreries…
Avalant force gâteaux
Jusqu’au dernier petit morceau.
Noyé dans son ennui
Cachait sa nostalgie
Sa misère de tristesse
Dans un semblant d’allégresse.
Octave était un homo
Comme ils disent…
Ses plus doux compagnons de fortune s’appelaient désormais, chou à la crème, fraisier, opéra, éclair au café et quelques autres rencontrés au hasard de ses découvertes, en fouillant du regard les vitrines d’une pâtisserie.
Il avait largement dépassé l’octave dans le choix des douceurs… pour apaiser son cœur.
Il aimait les fleurs sauvages avec une préférence pour le bleu.
Polygale des champs.
Vesce craque.
Lupin et vipérine.
(Cliquez sur les images)
Belle plume pour parler d’humanité.