Les sciences. Fin

Ce sera le dernier chapitre pour ne pas gaver les lecteurs.

Une classe à Lévie.
(Cliquez sur la photo)

J’avais remarqué que les sciences faisaient terriblement défaut, les contes et les histoires, plus ou moins obscurs, prédominaient risquant d’enfermer les esprits au lieu de les libérer. Il me semblait utile de commencer à forger l’esprit critique, à développer l’observation, encourager la prise de recul. Porter un regard sur le monde qui nous entoure, sans préalables et sans préjugés. Je me souviens d’incantations prodiguées par des enseignants pour atténuer des bobos lors d’une sortie scolaire. Des enfants crédules, admiratifs, puisque vingt minutes plus tard l’effet s’était estompé non par la magie incantatoire mais par un phénomène strictement naturel.

Plutôt que travailler sur des manuels scolaires préfabriqués, j’optais pour l’incitation à découvrir le monde par soi-même. J’avais demandé aux enfants de rester attentifs à ce qui pouvait les étonner en portant en classe tout objet de leur questionnement. Une chose vous interpelle, vous ne comprenez pas, portez ce matériel en classe, nous chercherons à comprendre ensemble.

Avec cette démarche, j’espérais mettre l’observation et la curiosité en alerte. Le premier objet fut une pomme de pin déjà vieille et humide avec des champignons qui avaient poussé sur ce substrat. Merveilleux sujet d’observation. La pomme de pin déjà ancienne, proche de la pourriture, constituait un terreau favorable à la pousse des saprophytes (champignons qui se développent sur les matières végétales en décomposition). Ce fut l’occasion d’étudier les champignons sous toutes les coutures puisque nous étions en automne. A partir de là, tout s’est enchaîné. Nous eûmes droit à l’araignée d’Antoine qui nous permit d’aborder les arachnides de nos contrées comme faire la différence avec les insectes. Puis ce fut le tour d’un glaçon récolté à la fontaine du Paradiseddu avec une plante emprisonnée. Cela nous conduisit aux divers états de l’eau, aux rivières locales puis aux fleuves du monde. Tout un dossier autour de l’eau. Ce qui ressemblait à une plante prise dans la glace n’était qu’une feuille composée, ce fut un autre coup d’envoi pour les différentes formes de limbes et l’identification de certains arbres de notre village, à l’occasion d’une sortie à cette intention. Ce jour, une stagiaire nous accompagnait, elle fut surprise par la démarche qui faisait suite à un apprentissage théorique dans la classe. Elle m’a même avoué en avoir plus appris, sur le sujet, ce jour que durant toute sa scolarité. La mise en place d’une initiation à l’expérimentation s’ébaucha avec les corps flottant, solubles ou plus lourds que l’eau…

La pomme de pin se présentait ainsi. Photo prise et envoyée par Gaëtan, après avoir pris connaissance de l’anecdote.

Je m’efforçais d’éveiller la curiosité et l’interrogation, avec la recherche objective et rationnelle d’une réponse, bien plus que la mémorisation d’un savoir strict, difficile à cet âge. L’état d’esprit en alerte, interrogatif, et la démarche scientifique naissante me paraissaient essentiels.

En mathématiques, il était plus difficile de s’écarter des fondamentaux et du manuel. J’avais remarqué que certains enfants étaient mécanisés sur des opérations élémentaires sans avoir intégré les notions de nombre et de taille. Pour certains, j’ai dû procéder de la manière la plus archaïque qui soit. Je leur demandais d’apporter des mini-fagots de branchettes ficelées par dizaines pour comprendre la différence avec les unités. Ces fagots confectionnés par leurs soins trônaient au-dessus du tableau à côté de branchettes libres pour que s’intègrent les notions fondamentales. Visualiser les signes mathématiques par le concret et la manipulation étalée dans le temps était une étape escamotée qu’il fallait rétablir au plus tôt.

J’avais envisagé la création d’une salle de mathématiques pour toutes les classes de l’école. Ce n’était pas de mon ressort et en outre, je n’avais guère d’avenir dans l’institution puisque j’étais à la fin de ma carrière. Pour mener à bien ce projet, il était nécessaire de le suivre sur quelques années. Le principe était basé sur le réel. Dans cette salle on y trouvait tout ce qui touche à la mathématique, depuis le marchand jusqu’aux commandes sur catalogues (aujourd’hui sur internet), en passant par les toises, les mètres, fil à plomb, équerre de menuisier, toutes sortes de mesures. Tout un matériel à compléter au gré des besoins et des idées. L’endroit devenait un passage obligé pour l’ensemble des classes avec un ordre de fréquentation déterminé. Chaque niveau, chaque groupe ou chaque individu y viendrait avec un objectif précis pour effectuer des manipulations puis des calculs liés à leurs actions. Il s’agissait de mettre les mathématiques au cœur de la vie, chaque enseignant demeurait libre d’imaginer ce qu’il souhaitait pour sa classe.

Je vais ajouter, sans entrer dans les détails, qu’il existait aussi des quinzaines, de la poésie, du dictionnaire… par exemple. Elles se terminaient toujours un samedi en apothéose.
Juste un aperçu au sujet des poésies, pour le dico c’est plus compliqué. L’idée était de concerner parents et enfants. Les parents étaient informés par écrit un mois avant la date de mise en route du projet et avaient pour objectif d’aider leur enfant à trouver une poésie, l’apprendre, et l’illustrer avec ou sans aide. Cela n’avait pas d’importance, le but était de créer un dialogue parent/enfant. Certaines illustrations étaient très sophistiquées, on voyait presque du Roger Hart dans « Au théâtre ce soir » (pour ceux qui l’ont connu), maman y mettait fortement sa touche. Chacun devait garder le secret jusqu’au jour où débutait la quinzaine. Toutes les poésies étaient affichées et durant la quinzaine nous épluchions les caractéristiques des poèmes. Chaque jour, deux ou trois enfants récitaient leur poésie jusque à ce que tout le monde soit passé. Puis nous terminions par un recueil de productions personnelles de tous les enfants, avec deux autres poèmes que j’avais composés pour eux.

Voici une anecdote digressive pour terminer ce texte et clore ma carrière.

C’était une veille de Noël, il y avait du brouillard, nous étions au coin du feu. Notre endroit était isolé et peu de gens passaient par ici. On frappa à ma porte, c’était une de mes élèves avec son papa qui m’apportaient un sapin de Noël entièrement décoré. Ils l’ont déposé devant mon entrée puis sont repartis sans s’attarder davantage. Si cette fille venait à lire ce texte, elle s’en souviendra sans doute. Je n’ai jamais oublié cette attention qui me toucha profondément, j’étais au bout de ma carrière, ce fut la seule célébration. Je suis sorti par la petite porte…

2 Comments

  1. j’imagine la quantité de » grands » enfants qui te sont reconnaissants aujourd’hui….eveiller les jeunes à l’observation au questionnement est pour moi une grande marque d’attention et de respect!
    Ah Simon!, tu me rappelles un prof fe français qui savait comme toi allez chercher en nous le détonateur de curiosité ou ( et) d’émotions.
    c’est poignant!

  2. Comme Bousquet l’écrivais hier soir j’ai vu défiler de bon maîtres qui ont su nous mobiliser par le réel. Mieux, par notre réel d’enfants. Outre les savoirs acquis par cette voie il nous en est resté une grande curiosité pour tant de choses et de gens. Ainsi la rédaction sur le grand chien jaune de l’hotel faisant sa sieste quotidienne sur la place du village, celle sur la partie de pêche en famille firent « passer » bien des notions de français. Pour illustrer les leçons : pêcher à la main dans le ru voisin, collecter des insectes, des plumes, des tranches de bois dans l’atelier des menuisiers, voire quelques ossements à la décharge municipale, découper des photos dans les journaux, etc … firent de nous des partenaires actifs de nos formations en science, histoire, géographie, éducation civique. De chaque voyage, des décennies plus tard, je rapporte un caillou, comme les minéraux des leçons de mon enfance collectés pour œuvrer avec le maître et mes condisciples. Oui Simon, ces maîtres ont donné plus de sens aux pierres des chemins et des murs en commençant par les nôtres. Ils n’ont pas donné priorité à l’académisme ni aux manuels.
    J’ai d’ailleurs à portée de main un fragment de tuile d’Aléria pas plus grand que trois doigts. Il porte la trace des doigts de celui ou celle qui l’a moulée. Sans mes maîtres il n’aurait mérité qu’un piétinement. A partir de lui, grace à eux, un tronçon de terre cuite me permet de parler comme une page de livre.

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