Les petits moments joyeux. (4)

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J’avais instauré des moments d’apprentissage inédit dans la semaine, qui plaisaient beaucoup aux enfants.

L’eau à la bouche. C’était l’occasion de consolider sa lecture tout en apprenant à s’exprimer devant les autres. Une demi-heure par semaine vers seize heures était réservée à cette pratique. J’avais, par courrier collectif, encouragé les parents à constituer un petit stock de livres à la portée de leurs enfants en leur soumettant une liste assez conséquente. Chacun faisait comme il voulait, certains pouvaient d’autres pas mais cela n’avait pas d’importance car la manœuvre envisageait aussi le partage ou l’échange. Le principe de cette séquence visait à donner l’envie de lire aux autres enfants. Le matin, deux ou trois élèves s’inscrivaient pour la séance de la fin d’après-midi. Ils présentaient le livre qui leur avait plu, faisaient découvrir la couverture, les illustrations, racontaient leur plaisir sans dévoiler l’histoire puis lisaient un passage à haute voix pour mettre l’eau à la bouche en s’arrêtant à un moment qu’ils avaient choisi pour inciter à lire cette histoire. Le principe plaisait et les enfants s’échangeaient les livres. Une bibliothèque tournante suggérée par « l’eau à la bouche » prenait vie. J’ai été surpris en voyant, il y a juste deux jours, que ce principe était très en vogue dans les écoles anglaises, presque une institution. Dans ma classe c’était il y plus de vingt ans et je n’avais jamais vu cela nulle part.

Le corse au secours du français. Chaque fois que cela était possible, je pratiquais ce principe pour orthographier correctement un mot et notamment trouver les lettres finales muettes. J’encourageais ceux qui parlaient bien le nustrale à prononcer le vocable en corse. Cela donnait ceci : Le front- u fronti ; le porc-u porcu ; le port- un portu ; le franc-un francu ; le fruit-un fruttu ; le compas- u cumpassu ; le chocolat- à ciculata … Ce principe s’appliquait également à l’accent circonflexe qui remplace un s. Voici : la forêt-à furesta ; le maître- u maestru ; la fenêtre- à finestra… C’était ludique pour eux, ils étaient prévenus que cela ne s’appliquait pas toujours ainsi et donc, ils n’en faisaient pas un principe systématique c’était l’occasion de mettre un sourire là où il n’y avait que sévérité.

Le cahier noir. Il s’agissait là d’un point très essentiel. Ce cahier, à l’image de la boîte noire d’un avion était la mémoire de la classe. Chaque fois qu’un enfant se trouvait en difficulté devant une notion nouvelle, nous le l’inscrivions dans ce cahier. Nous nous efforcions d’expliquer la notion en cause en la formulant à notre manière et non comme dans le manuel scolaire. Par exemple, les autres élèves énonçaient la notion à leur façon et nous la rédigions autrement, la mettant à portée de l’enfant qui avait manifesté son incompréhension. Nous dessinions des petits personnages qui dédramatisaient la situation, du genre « Un adjé quoi ? » pour se moquer de l’adjectif qualificatif, par exemple. Lorsque l’enfant avait trouvé la formulation qui lui convenait, il était invité à revoir la définition du livre de grammaire. C’est dans ce cahier que se signaient les contrats et objectifs personnels, que s’éclairaient les difficultés de toutes sortes, dans toutes les matières comme dans la vie scolaire. Il m’arrivait de pratiquer cet exercice avec l’enfant concerné lorsque cela prenait trop de temps en situation collective.(Un texte entier avait été consacré à cette originalité de cahier noir,  dans le blog)

Le moment secret. Chaque enfant avait la possibilité de venir me parler en fin de journée pour se livrer sur un point qui le tenait à cœur. Ce pouvait être personnel comme une difficulté précise sur les apprentissages du jour. Je me souviens d’un petit garçon qui piaffait d’impatience en attendant son tour. Il sautillait sur place en serrant les genoux, j’avais l’impression qu’il avait envie de faire pipi. Ce n’était pas le cas, il a patienté pour me dire à l’oreille : « Tu sais, je voulais te faire un cadeau mais maman n’a pas pouvu, elle a plus d’sous ». J’ai parlé un peu avec lui pour le rassurer, il est parti soulagé avec un large sourire… Je dévoile ici le secret de cet enfant timide devenu aujourd’hui un solide gaillard qui me semble heureux.

Voici deux anecdotes survenues hors circuit instauré. J’avais dans ma classe une petite fille très intelligente et qui travaillait sans montrer la moindre difficulté, de sorte qu’elle aurait pu se passer de mon enseignement pour avancer. Elle avait pris de très mauvaises habitudes et personne n’avait osé la déranger. Elle écrivait très mal en ne suivant pas toujours les lignes et faisait de nombreuses taches sur ses cahiers. Je l’avais un peu sermonnée en lui montrant qu’elle n’avait que cet effort à faire en classe puisque le reste glissait. C’était un contrat que nous avions passé ensemble, nous donnant le temps et faisant ponctuellement le point. Un jour, à la sortie de onze heures trente sa maman m’attendait pour m’alerter que sa fille ne voulait plus venir en classe. C’est le genre de réaction à corriger sur le champ : « Où est-elle ? Elle se cache dans la voiture ! Allez la chercher. » Il faut absolument que tout soit entendu en direct sans qu’aucun mot ne soit rapporté par un tiers. Elle est venue tête basse. « Montre-moi tes mains et bouge tes doigts. Tiens, tout fonctionne parfaitement, qu’est-ce qui t’empêche d’écrire correctement ? » « Rien, me dit-elle » Bref nous avons conclu qu’il s’agissait de laxisme de sa part. Elle se la coulait douce évitant le moindre effort en ce sens. Je lui fis savoir que je m’appliquais pour qu’elle comprenne mon écriture… Nous avons convenu sur le champ d’une attitude à suivre. Elle fit la promesse de s’atteler à cette tâche, le reste n’était que facilité pour elle. Un mois plus tard, elle se présentait, tout sourire à mon bureau pour me montrer son cahier en disant : « Maître vous aviez raison, regardez comme il est beau ! ». Cette fille a fait de bonnes études en psychologie, il ne manquerait plus qu’elle se soit spécialisée en graphologie…

Une vieille anecdote pour montrer que rien n’a changé. Lorsque je débutais à Versailles, j’avais une classe très vivante. Sans doute, des enfants qui auraient évolué favorablement même en leur mettant des bâtons dans les roues. Une certaine complicité s’était instaurée entre nous. En outre, j’étais leur entraîneur de basket alors que je n’avais jamais eu en main de ballon de cette discipline. Ils ont terminé premiers du championnat dans leur catégorie, vous imaginez ma fierté. A la sortie de l’après-midi, certains me suivaient discrètement pour savoir où j’habitais. Parfois, ils étaient deux ou même faisaient semblant de faire du vélo se laissant décrocher en détours puis revenant. Le jour où je fus mis au parfum, j’ai décidé de mettre fin à cette traque en les invitant un mercredi à prendre le goûter chez moi, accompagnés d’une mère d’élèves. Ils étaient une bonne poignée, nous avons passé un agréable moment. Evidemment, nous n’étions pas devenus des copains, ils avaient compris que chacun devait rester à sa place… Je leur montrais que l’école c’était la vie et non l’inverse, il fallait pour cela avoir l’intelligence et la volonté d’entrer de plain-pied et sans ambages dans les choses de la vie.

Un moment joyeux. que sont-ils devenus, ils sont dans la cinquantaine aujourd’hui…

 

 

 

 

 

A suivre : Orthograve ?

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