Ma plus belle année.

Ceci est un témoignage. Les années ont passé, il est temps de livrer ce vécu et cette expérience qui, je l’espère, intéresseront quelques jeunes enseignants. Ils pourront y trouver des approches inédites, des idées rebonds qui feront écho à leur pratique. Sans aucune prétention, je pense qu’il y a là matière à puiser un peu de vie. Un récit en plusieurs chapitres.

A la recherche d’un emploi, du temps où c’était encore jouable, je n’ai jamais reçu aucune offre, ni aucune réponse de l’Académie de Corse. Ceci explique pourquoi j’ai dû quitter la Navaggia pour me retrouver si loin de mes bases.

Jamais, je n’aurais pensé finir ainsi dans la confusion la plus totale. Il me restait quelques années avant la fin de ma carrière, le besoin de revenir dans ma Corse natale se faisait de plus en plus pressant. Comme Ulysse, j’ai fait un beau voyage, dans la région parisienne, j’y ai appris beaucoup de choses, étoffé mon savoir et ma compétence dans l’aide aux enfants en grande difficulté scolaire. Plein d’usage et raison, je souhaitais rentrer dans mon île pour y apporter ma contribution de savoir et de savoir-faire. Une perspective qui me réjouissait beaucoup, j’ignorais que rien ne se passerait comme je l’avais rêvé.

J’obtins ma mutation sans aucune difficulté et du premier coup comme on dit. Hélas, il n’y avait aucun poste correspondant à ma qualification, je devais intégrer une classe dans le primaire pour terminer ma carrière. Je fus nommé dans l’école de mon village, chose rare, l’école de mon enfance à cinq minutes de ma maison restée inhabitée jusque-là.

Ma première surprise fut mes retrouvailles avec Catherine. Déjà aide maternelle lorsque j’avais quatre ans, elle était encore en activité pour compenser des années non validées pour sa retraite. J’allais quitter l’école quasiment en même temps qu’elle comme deux retraités atypiques. La rencontre de deux carrières qui avaient peu de chances de coïncider ainsi. Une histoire peu commune avec ces surprenantes choses de la vie.

En prenant ce poste je me retrouvais dans la situation du débutant. Je n’avais aucune pratique de la classe puisque pendant vingt-deux ans j’exerçais la rééducation individuelle quasiment en situation de laboratoire. D’emblée, je me posai la question de savoir s’il valait mieux être débutant total, encore très malléable et adaptable à toute situation nouvelle ou déjà largement déformé par des usages plus personnalisés. Je n’allais pas tarder à le savoir car en entrant dans la classe, comme une déformation professionnelle, j’ai tout de suite vu quels étaient les difficultés de chacun. Cela me sauta aux yeux comme un réflexe conditionnel. Je connaissais les parents de ces enfants, ils avaient entre dix et quinze ans de moins que moi, je les ai connus tout jeunes. Cet état de fait conjugué avec mon passé d’enseignant spécialisé allait provoquer une sorte de folie dans ma tête. Je me suis senti soudain investi d’une mission suprême, sauver tout ce monde comme si j’étais le Christ. Je me sentais impliqué et obligé, en retrouvant dans ces visages juvéniles le trait d’une grand-mère ou d’un grand père que j’avais parfaitement connus. Ces enfants étaient ceux de mes quartiers et n’avaient rien de commun avec ceux des Mureaux, ou d’ailleurs, chargés de problèmes multiples, sociaux, de modes de vie atypiques, le plus souvent doublés de troubles psychologiques. Les « miens » si j’ose dire, n’avaient rien de tout ça et presque trop bien traités jusqu’à se laisser vivre. J’allais en faire mon affaire avec un vaste programme de communication avec tous. Eclairer certains points, en régler d’autres par une pratique pédagogique inédite du cas par cas au sein d’une classe. Un projet dément avait germé dans mon esprit et j’ignorais ce qu’il en sortirait car totalement immergé dans mon implication, j’oubliais les limites de mes capacités en la matière.

La confiance des parents fut facile à gagner. C’était un avantage énorme sans lequel il est difficile d’avancer. Je me souviens des rares personnes qui n’osaient pas m’aborder en sortant de l’école. Je le sentais, le voyais et allais les aborder pour les mettre en confiance afin de libérer la parole, de favoriser le dialogue entre nous. J’étais là pour cela, c’était ma mission. Pour étoffer davantage la communication, j’écrivais un courrier collectif tous les samedis, parfois individuel pour faire le point sur la semaine passée et envisager celle à venir. La tâche était immense car chacun devenait demandeur, c’était à moi de tempérer, d’éclairer ou de rassurer pour ne point être avalé tout cru.

Après avoir jaugé l’ensemble de la classe et entrevu les difficultés de certains, je devais monter un projet pédagogique pour démarrer une mise en apprentissage inédite. Très déformé par ma pratique passée, j’ai décidé de faire du sur mesure en travaillant essentiellement sur le vécu quotidien et m’éloignant de tout ce matériel préfabriqué dans les manuels scolaires. Je ne me rendais pas compte de l’immensité de la tâche. En totale immersion et parfaite empathie, je collais à chaque enfant pour qu’il donne le meilleur de lui-même et qu’il prenne plaisir à venir en classe sans aucune angoisse parasite. Le stress était pour moi, interdit pour les autres et surtout les enfants.

Voilà l’état d’esprit dans lequel je m’étais plongé. Je pressentais que ma plus belle année allait être la plus douloureuse de ma vie.

A suivre : Mes premières impressions.

Photo déjà vue mais c’est celle qui illustre le mieux mon texte. Je suis dans les bras de Catherine. C’est quasiment un témoignage.

Maternelle de Lévie probablement 1951.
(Cliquez sur la photo)

 

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