« Spampanati » (Epanouis)

« Il suffirait de presque rien… » pour que tout remonte à la surface.

Aujourd’hui, un cousin me portait des reines-claudes craquelées et fermes à souhait.  Il n’en fallut pas plus pour me renvoyer plusieurs décennies en arrière. Mon prunier du même nom a lâché tous ses fruits avant maturité sous l’effet de la canicule. Dans la souffrance du moment, il préserve l’essentiel en larguant ses feuilles jaunies, aussi.

J’avais un grand oncle qui venait passer ses vacances au village une année sur deux. C’était pour lui l’occasion de revivre son enfance. Il me demandait de l’accompagner dans des endroits que je fréquentais quotidiennement et m’apprenait des choses… Des choses ordinaires que j’avais sous les yeux mais qui ne revêtaient pas la même importance pour moi. Devant la maison de mon grand-père, son frère, il y avait « un catuciughju », une décharge. Les gens du quartier jetaient là toute sorte de détritus. C’était juste à quinze mètres devant la porte d’entrée. Personne ne trouvait à y redire. C’était une habitude, je me souviens « di i staghjali », vieilles boîtes ou objets en fer, rouillés à nous infliger le tétanos sur le champ car nous marchions pieds nus. Heureusement, à l’époque nous étions vaccinés de fraîche date et probablement fortement immunisés. En surplomb de la décharge, trônait un immense figuier très productif. Le plus grand plaisir de mon oncle était de cueillir les figues tombées sur les boîtes rouillées, complètement éclatées car chues à maturité extrême. Elles étaient à la fois craquelées et affaissées, il disait « spampanati », qu’il traduisait par « épanouies ». C’était du plaisir ancien qui revenait à la surface, il se souvenait de ses jeunes années lorsqu’il vadrouillait pieds nus et que tout fruit de saison venait à point pour révéler son importance.

C’est en l’écoutant, aussi, que j’ai élargi mon espace plaisir. En goûtant, en sa compagnie, ces figues fatiguées de s’agripper à l’aisselle des feuilles, qui n’en pouvaient plus et lâchaient prise pour choir dans un bruit étouffé sur une vieille casserole rouillée, j’enrichissais mes papilles. J’ai savouré la marisque entre maturité extrême et presque séchage. Une figue au meilleur de sa forme lorsque le sucre prenait le pas sur toute autre saveur. Il choisissait celle qui semblait plus affaissée et plus fissurée que les autres, me la tendait et disait : « Goûte celle-ci ! ». Il me regardait droit dans les mirettes en attendant le verdict. J’acquiesçais. Alors, il en avalait goulûment trois ou quatre d’un coup, en fermant les yeux comme s’il voulait imprimer définitivement les vieilles saveurs de l’enfance. C’était sa manière de refaire le plein des sensations de naguère.

Nous avions l’habitude de cueillir les figues sur l’arbre. Je me souviens que celles plus avancées, déjà fripées, à la limite d’être sèches, étaient bien plus savoureuses et me rappelaient le quatre heures que grand-mère nous préparait avec celles séchées au soleil si prisées par les guêpes en quête de sucre. Elles garnissaient notre sachet en toile confectionné les soirs d’hiver devant la cheminée. Une originalité pour chacun, du tissu écossais ou ton unique et le cordon tiré que nous attachions à la ceinture. C’était au début de l’hiver avec noix et châtaignes bouillies, « i butaccioli ».

Oncle Rigobert était un homme à la fois dur et sensible. Dur, car il n’acceptait pas sa condition d’expatrié à une époque où chacun partait chercher fortune ailleurs, sensible, car il fondait littéralement en me parlant de son enfance. Je me souviens de sa dernière année, c’était à Noël. Il se savait condamné et avait souhaité passer son dernier réveillon chez nous. A minuit, il a craqué, puis prenant sa femme par la main, ils se sont levés et ont chanté, seuls, le chant de leur enfance. C’était poignant, ils n’ont plus bronché pour épargner l’explosion générale.

I fica spampanati di ziu ! J’ignore si le mot était le mieux adapté mais je l’ai compris ainsi.

De grâce, je demande aux puristes de ne point rectifier si le vocable ne convient pas.

La vie n’est pas une affaire de grammaire, c’est le ressenti qui gouverne, imprime le vécu et nous montre les étoiles !

Et pour compléter le plaisir du midi, « una spampanata » d’oignons et de tomates pour accompagner une côte de d’échine de porc….
(Cliquez sur les photos)

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