Le noyer a fleuri.

Le matin très tôt en prenant mon petit déjeuner, j’allume le téléviseur pour faire le plein de négatif, d’absurdités, de violence, de coups tordus, bref, je cultive mes contrastes. L’envie de retrouver le jardin au plus vite devient pressante pour baigner dans une sorte de sérénité apaisante, bienfaisante au regard de tout ce qui se trame de traviole dans notre société. Certes, la nature a ses coups de gueule aussi, son mauvais penchant, mais elle ne s’est jamais déclarée parfaite.

J’avais déjà tout oublié. Seuls les haricots à égrener que je mettais en terre pour la fin de l’été comptaient pour moi. Fin août ou début septembre, je sais que je les accommoderai dans une sauce tomate préparée avec les cœurs de bœufs bien mûrs et fraîchement cueillis. L’oignon aura préalablement fondu dans un tout petit peu d’huile d’olive avant que des morceaux généreux de panzetta séchée ne viennent s’y rouler aussi. Sans doute, le basilic profitant d’une brise, vaporisera son parfum pour qu’on ne l’oublie pas et rejoindra tout ce monde dans la cocotte pour apporter sa touche estivale. Une longue cuisson à feu doux, un plat réchauffé le lendemain, voilà donc un plaisir que je prépare en secret pour un de ces premiers jours maussades de fin d’été…

J’avais la paix et conversais presque avec chaque légume rencontré au passage. A force de se voir, on devient copains et puis je les regarde grandir, parfois pourrir sous l’effet d’un arrosage trop poussé. Que voulez-vous, on les aime tellement qu’on finit par les gâter aussi. Les gâter, les abîmer à force de les chouchouter comme des enfants. Ils deviennent gagas. C’est ainsi, on a beau le savoir, le soleil surchauffant par ici, nous monte à la tête ou nous souffle des mauvais conseils : « Vas-y, arrose, je vais taper fort aujourd’hui ! » Quel imbécile, on se fait avoir, mais rien d’inquiétant, il faut bien faire quelques petites erreurs sinon nous n’aurions plus de regrets à nous mettre sous la dent. C’est utile des regrets, ça fait réfléchir puis on avance, on promet de ne plus recommencer. C’est pour ça qu’on recommence, il faut bien penser une chose et ne pas la mettre en pratique… ça me fait rigoler, c’est la vie !

Quand on a l’œil coquin et scrutateur, on voit ce que le commun des mortels ne voit pas, il passe. Je venais de baisser la tête pour arracher une touffe d’herbe gourmande, qui baignait ses racines dans l’eau destinée aux aubergines, qui s’étoffait et verdoyait puissamment, lorsque je fus attiré par une tâche rouge écarlate. Juste derrière le petit noyer qui vient de fêter son premier printemps, un coquelicot mort de rire me faisait signe. J’ai compris à son clin d’œil insistant que le noyer venait de fleurir. C’est facile de jouer avec la nature, il suffit de la regarder en laissant son esprit gambader, folâtrer, divaguer, il y a toujours une belle idée ou une belle image qui s’en dégage. Oh ! Je ne crois pas aux signes, croire c’est interpréter la nature et lui donner des idées qu’elle n’a pas. Ce n’est pas son intention, c’est moi qui gamberge et joue au facétieux. Le plus important est que cela plaise et amuse… Enfants nous jouions au Tour de France avec des capsules de bière et pourtant nous n’étions pas des cyclistes. En outre, les vélos étaient rares dans nos quartiers, cela ne faisait qu’amplifier le rêve. Là, c’est pareil. Je désire rester un éternel gamin, faire voyager mon esprit comme si je commençais ma vie, que j’étais parti pour un long périple encore. Vous savez, le peu d’années qui restent à vivre et dont on ne connaît pas le nombre, sont encore plus belles en se réjouissant chaque matin, en s’inventant des choses belles, surprenantes et souriantes. Parfois, je me demande « Que vais-je pouvoir encore écrire demain ? » Je ne me fais plus de soucis, si je ne vais pas aux idées, elles viennent à moi. Je provoque l’occasion sans le savoir comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir aussi. Des beaux jours, j’en veux encore, je sais qu’ils m’attendent…

En regardant mon noyer juvénile, un tout petit bébé qui ne produira pas avant sa douzième ou sa quinzième année, j’ai à nouveau pensé à mon trisaïeul qui disait : « Lorsqu’on ne plantera plus d’arbres ce sera la fin des jardins. » J’ai relancé l’affaire mais je crois que j’ai très peu de chances de goûter aux premières noix de mon arbre. Je l’appellerai « Noci Simonu* » pour que mes petites filles le regardent un jour, le port majestueux, le regard dirigé vers la vallée d’Archigna, les branches bien ouvertes au vent pour faire frissonner toutes ses feuilles et dont les rafales secoueront les brous béants… Ploc ! Ploc ! Ploc ! L’automne est là, le noyer compte ses noix. « Entendez-vous ces petits bruits étouffés ? » « Non, vous dormez petites filles, il fait nuit et l’air est humide. Missiau est là derrière les nuages. Du haut de son étoile, il écoute : Une, deux… cinq six sept… « Abondance ! » pense-t-il.
Demain, il vous regardera ramasser mais vous ne verrez pas son sourire satisfait : « Bonne récolte ! »

*Noci Simonu=Noyer Simon

Pour le plaisir : images au jardin.

Au cœur du coquelicot : grains de café.
(Cliquez sur les images)

 

 

 

 

 

 

Campanule en cage.

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