Le long week-end de Pentecôte avait attiré enfants et petits-enfants à la campagne. Ce matin c’était arrachage de pommes de terre pour amuser les plus petits qui adorent marcher dans les haricots, piétiner le basilic, sans faire exprès comme ils disent. Il faudrait presque un permis de circuler au jardin comme sur la route. Instituer un code des pas entre les différents plants, apprendre à reculer sans écraser la petite courgette qui fait la belle juste derrière vous. Bref ! Il a fallu rester vigilant tout au long de l’arrachage : « Tourne à droite ! Tu entends le haricot qui crie ? Tu as le pied juste dessus… » C’est tout un apprentissage, presque un art de se déplacer entre les légumes.
Rien de catastrophique, les enfants apprennent vite et ont pitié des plantes piétinées. Ils connaissent très tôt le cri de la carotte, le gémissement du radis et la plainte de l’échalote que l’on vient d’écraser.
Les pommes de terre sortaient toutes neuves comme si elles avaient été lavées et séchées. Un vrai plaisir à regarder. Ce soir, les plus petites se doreront dans le four, roulées dans l’huile d’olive et la persillade.
Le merle faisait semblant de pas nous voir. Il avait fui du cerisier en faisant celui qui ne n’avait rien à se reprocher. « Tu n’as pas honte d’éparpiller nos cerises dans le jardin ? Tu ne peux pas piquer proprement sans en lancer partout ? » « J’ai rien fait moi ! Je n’ai même pas vu le cerisier ! » « Pinocchio va ! T’as vu ton bec comme il s’allonge ? » Puis, il a haussé les ailes et a plongé en contre-bas. J’ai juste surpris le geai qui tentait une approche vers les bigarreaux Napoléon. Il a compris qu’il n’avait aucune chance, alors il a lâché son cri de guerre ou plutôt de rage et a disparu aussi vers la vallée. Une rainette faisait le tour du bassin avec des coups de rame académiques, elle nous regardait et semblait nous informer que ce soir, à la lune, elle nous chantera sa plus belle chanson.
Dans les lys, c’était la foire au pollen. Parachutages en tous genres incessants. Les plus assidues sont les oedemères nobles. Elles n’arrêtent pas, elles n’ont que ça à faire. On les voit circuler sur les pétales, s’envoler puis se poser un peu plus loin sur la fleur voisine. Bonnes pollinisatrices, elles se frottent aux étamines pour se gaver de pollen. On dirait des orpailleurs chargés de pépites dorées. Elles sont recouvertes de grains jaune souffre ou orange, partout. Sur le front, sur les pattes, l’abdomen et même les ailes. C’est leur métier. Heureusement qu’elles sont là car on voit très peu d’abeilles. Seules les charbonnières et les frelons européens prospectent les endroits à la recherche d’un abri.
Ah ! Tiens, on ne le voit pas souvent lui. Il fréquente les étamines aussi pour donner un coup de main à ses copains nobles. C’est le lepture porte cœur. Un joli cœur noir sur ses élytres rouges.
Bientôt j’irai visiter le persil. En sa deuxième année, il développe ses inflorescences, le vent se chargera de disséminer ses graines dans les environs. L’année prochaine, il en sortira partout et surtout des trous des murs. Je n’ai jamais semé de persil, il se débrouille tout seul comme un grand pas besoin de jardinier.
Après cette matinale, encore une belle journée s’est rangée du côté du passé me laissant comme les autres qui passent un agréable souvenir quotidien.
A demain, peut-être, car les lendemains sont nommés mais n’existent pas.
Oedemère noble. Les mâles ont des cuisses d’haltérophiles et les femelles des cuisses fines de mouches. (Cliquez sur les images)
C’est bien.