L’amour de la vie.

« Seulitude »

Je vous ai assez bassiné, au fil de mes nouvelles, avec la culture des contrastes… Eh bien, je vais continuer mais de manière masquée.

Le temps était beau. Le jardin semblait réclamer un peu de soin. En fait, il attendait qu’on lui refasse une santé. Durant l’automne et l’hiver, un laisser-aller l’avait rendu méconnaissable. Le côté sauvage de la nature avait gagné de l’espace créant un désordre apparent entre chiendent coureur, envahissant, et garance voyageuse partie à la conquête du romarin. Toutes sortes d’herbes folles menaçaient d’occuper l’ensemble du jardin. La haie complètement nue montrait son squelette de lianes de clématite vitalba (vitarbula) débarrassée de sa chevelure ivoire envolée durant l’hiver sous les attaques du vent, plaquée au sol par la pluie.  Il était grand temps de préparer quelques planches pour la plantation des pommes de terre en mars  et plus tard des légumes d’été. Je ne n’imagine pas juillet et août sans tomates, courgettes, concombres, aubergines et compagnie… à portée de main

Le plus étonnant dans cette affaire, l’envie de rafraîchir le jardin s’accompagnait d’un retour à l’état presque sauvage, on peut le dire sans que cela paraisse exagération, de ma propre apparence. C’est une nature plus qu’une seconde nature. Je commençais à m’habituer à l’allure des villes, il était temps de quitter mocassins, jean et autres enjoliveurs pour redevenir homme des coteaux broussailleux. Le naturel chassé prend facilement le galop c’est connu et donc, en un éclair, me voilà affublé d’un vieux pantalon d’épouvantail, aux pattes de mammouth plus que d’éléphant et à la taille surdimensionnée resserrée par une ficelle de fortune. Les godasses enfilées à la va vite sans lacet, façon claque-patin comme on traine des sabots. Là, j’étais à l’aise mais parait-il vieilli de dix ans. Dix années à mon âge encore raisonnable ça change beaucoup. Je m’en fiche, il ne me restait plus qu’à laisser le visage en friche sans le moindre coup de rasoir pour que le tableau soit complet.

J’étais prêt à tailler la vigne et bêcher le jardin. Bêcher ? C’était trop vite pensé. La prothèse de hanche encore fraîche ne semblait pas s’accommoder du coup de genou pour renverser la motte. Elle menaçait de quitter son logement si je persistais dans l’ouvrage. J’ai regardé la planche devant moi, elle me parut immensité. Une mission hors de raison, la luxation n’en valait pas la chandelle car Ange était là, me signifiant de rester tranquille. Insistant, je lâchai râteau et fourche parisienne.

De laboureur, je me suis retrouvé dans une sorte de théâtre Mascone. Des vieilles anecdotes me venaient à l’esprit, je les racontais presque sans discontinuer sous forme de sketches. D’abord assis sur un rocher, puis déambulant sur le bord d’une planche qui surplombait celle d’Ange comme un acteur se déplace sur scène. Le bêcheur marquait des temps d’arrêt et me regardait en contre-plongée, plié en deux, mort de rire en criant pitié pour que je cesse mon bombardement d’images rigolotes. C’est un excellent accompagnement, on travaille en ayant la tête ailleurs, le labeur devient mécanique presque sans effets sur le physique, on oublie la fatigue. Les abdominaux se contractent sous les rires rythmant les coups de bêche.

Peut-être une heure avant midi, je me suis décidé à préparer un déjeuner inédit. Una pasta asciuta à u ficateddu casanu. Ce fut une découverte et un ravissement pour les papilles. Une fois de plus Anghjulu (Ange) était aux anges et moi aussi… Deux jours ont passé.

Aujourd’hui, le temps était maussade. Il me restait une courgette, la moitié d’un chou vert, un poireau et quelques carottes de sable. Dans un peu d’huile d’olive et un morceau de beurre à ma convenance,  j’ai fait fondre tous ces légumes coupés en petits morceaux avec un oignon et de l’ail. Du sel, du poivre, un cube de bouillon de légumes, un peu d’eau et des poupoutements à feu moyen puis doux jusqu’à obtenir une fondue de légumes encore identifiables. En fait, j’avais repéré des tranches de panzetta cuite, c’est de là qu’est partie l’idée. Tout ce beau monde se retrouva en fin de cuisson… Je vous assure que ce fut encore un régal…

Voilà comment je célèbre chaque moment qui passe. En perpétuel épicurien, sans le moindre effort qui coûte, je saurai transcender le temps qui reste, tous les jours qui se présentent à moi.

Mon ode à la vie se poursuit…
Garance voyageuse dans le romarin.

 

 

 

 

Clématite vitalba (ou des haies) et sa chevelure blanche (graines dispersées par le vent) qui devient ivoire en vieillissant.

 

 

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