San Gavinu di Carbini.
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C’est peut-être une redite, je suis un peu perdu dans mes mille et un textes aujourd’hui, c’est presque plus simple d’écrire que de chercher si cette historiette existe quelque part.
Rien de transcendant malgré le titre, c’est juste une rencontre qui demeure vivace grâce à un mot lâché sans aucune arrière-pensée d’accroche.
J’étais à mes débuts dans mon métier, un peu balloté dans les arcanes de l’administration de l’Education Nationale. Une sorte de « bon à tout faire » à l’Inspection Académique de Versailles. Un jour prof d’histoire, un autre prof de musique sans rien connaître au pipeau ni à la flûte, je savais juste l’existence des notes, rondes, noires, blanches, croches simples ou multiples sans en soupçonner l’usage. J’étais plutôt vocabulaire stérile dans ce domaine. Je me suis dépatouillé tout de même et surtout, je n’ai pas souffert. Bien au contraire, c’était amusant lorsque je démontais le piano pour étudier son fonctionnement : cordes, marteaux, étouffoirs et tout le tralala… Du tympanon ancêtre du piano à l’épinette qui précède le clavecin, de la corde frappée à celle pincée, bref on approfondissait tout ce qui peut ennuyer un enfant de collège. Il fallait bien que je meuble… Les grands musiciens y tenaient une bonne place pour adoucir les mœurs. Du jonglage. J’avais à cœur de justifier ma présence là. La salle de musique était très fournie en instruments, je cherchais à relier tout ça, entre disques classiques et instruments, en attendant qu’un vrai prof prenne la relève. Nous ne nous sommes jamais ennuyés, je crois, même si nous étions à des lustres d’un cours de musique. J’ai d’ailleurs fait mes premiers pas de rééducateur en entendant une fillette de sixième lire « atlo » au lieu d’alto. Elle savait que nous parlions de violon, c’était déjà ça de gagné.
J’ai une anecdote, à vous raconter à propos de piano. Trente ans plus tard, je me suis trouvé dans la salle d’attente de l’hôpital Rothschild à Paris. Les gens patientaient sur des chaises contre les murs de la vaste salle, au beau milieu trônait un piano blanc avec un tabouret de la même teinte. Je me suis assis, tâté quelques touches, les gens se sont approchés tout autour du piano droit. J’ai tenté quelques notes, fait mine d’écouter le son, puis je me suis levé en disant qu’il était mal accordé… tout le monde est retourné à sa place. Je m’amusais tout seul.
Voilà une bonne digression qui m’a permis de gagner quelques lignes, revenons à nos moutons. Nous étions en pleine période de passages de classe. On m’avait bombardé à la préparation des dossiers de passage en sixième dans un collège de Versailles. Je devais étudier chaque cas afin que l’inspectrice n’ait presque plus qu’à signer. On m’avait isolé dans une grande salle au calme absolu. Un monsieur dont j’ignorais la fonction (il était secrétaire) venait me voir de temps en temps me demandant si tout allait bien. Il insistait et revenait souvent. Il avait vu mon nom et cherchait à connaître mes origines. A force de « tout va bien », ne tenant plus, il finit par me demander si j’étais corse. Obtenant la réponse qu’il attendait, il m’adressa : « Oui, mais vous ne parlez pas corse ? » Il fut ravi d’entendre ma réponse en langue nustrale. Il était aux anges, à tel point que sachant que j’étais de Lévie, village situé à trois kilomètres seulement de San Gavinu di Carbini dont il était natif et résident l’été, il me dit, je vais vous raconter une histoire.
« Le curé du village, en pleine messe, ne parvenait pas à ouvrir le tabernacle et s’écria : ‘Ma chi diavuli ci sarà sta mani in u tabernaculu !’ »1 Puis il enchaîna sur d’autres anecdotes en me disant, « Si je vivais à San Gavinu, je vivrais cent ans, ici, je vais mourir bientôt ! » Le principal du collège, madame Marie Rose le cherchait partout, trouvant qu’il s’absentait souvent, elle est venue le secouer un peu. Il lui répondit : « Ô Maria Rò, lacami tranquillu parlu cu u mè amicu ! »2 « Qu’est-ce que vous dites ? », « Rien, rien, ça m’a échappé ! ».
Je l’ai revu de nombreuses fois à San Gavinu après la retraite, il semblait heureux et s’est éteint dans son village bien avant d’être centenaire ; On l’appelait Bébé N. alors qu’il était plutôt grand et bien charpenté… Longtemps, je me souviendrai de lui car la porte du tabernacle est restée ouverte sur notre rencontre depuis que le curé a cessé de tarabuster l’entrée qui cache le ciboire rempli d’hosties…
Allez savoir, il est peut-être préposé aux burettes, carillon ou claquoir, s’il y en a là-haut.
– Ah ! Ô Maria rò !….
– Non, non, c’est moi Bébé, t’inquiète !
1. Mais quel diable se cache dans le tabernacle ce matin !
2. Marie Rose, laisse-moi parler tranquillement avec mon ami !
Quelques images du village.
C’est bien.