De la pénombre du clocher à la salle obscure.

N’y voyez aucune tristesse mais le plaisir de raconter le passé.
(Cliquer sur les photos)

clocher denis2-001C’est une très vieille histoire presque de la nuit des temps pour être dans l’atmosphère du titre.

Ma tante vivait seule à la sortie du village. Ses enfants faisaient leur service militaire et son mari était décédé. Je lui tenais compagnie.

Je me rends compte aujourd’hui seulement, que j’ai passé une partie de ma vie dans l’obscurité. Nous vivions à la lueur de l’âtre l’hiver ou d’un lumignon posé sur la cheminée le reste de l’année. C’était une petite mèche qui surnageait dans un verre rempli d’eau nappée d’une couche d’huile. Des bougies et un quinquet* étaient en attente juste à côté. Ma tante se servait très peu de l’électricité, elle aimait vivre dans le noir, souvent dans le coin le plus sombre de la pièce principale.

Elle n’avait pas de métier particulier à part celui d’estafette pour la poste en livrant des télégrammes à domicile. Une sonnerie installée au-dessus de sa porte l’avertissait d’un arrivage et elle partait aussitôt porter, le plus souvent, la mauvaise nouvelle. C’étaient les décès qui lui rapportaient le plus. Elle pouvait attendre d’avoir plusieurs petits bleus pour la même adresse payés vingt centimes de francs l’unité. La postière ne l’avertissait que lorsque les condoléances en bleu céleste formaient un petit paquet pour ne pas l’obliger à faire mille et un voyages. Les jours de deuil ou de mariage c’était cocagne pour le porte-monnaie, les mois ordinaires, sans relief, peu de trotte, peu de sous et pourtant  d’astreinte permanente.

Lorsqu’elle était en vadrouille du côté de l’église, elle se présentait plusieurs fois au bureau de poste tout proche pour ne pas manquer à son devoir de trotteuse des quartiers. Le reste du temps hors l’église, elle crochetait des couvertures en coton blanc qui pouvaient prendre une année de labeur. J’avais la mienne prête dans un coin de l’armoire. Elle procédait de manière mécanique et se plaçait devant la porte pour avoir plus de lumière lorsqu’elle devait mener une opération plus précise hors du geste habituel.

La sacristie n’avait aucun secret pour elle. Elle adorait les chutes d’hostie que le curé déposait sur un coin de table. De la sorte, pas une miette du corps du Christ n’était perdue. C’était son médicament préféré, censé purifier l’intérieur de son corps alors qu’elle souffrait de troubles digestifs chroniques dont elle se plaignait souvent.

Elle adorait sonner les cloches. Sa spécialité était le glas tinté qu’elle tenait de son père dont je porte nom et prénom. Les gens du village étaient capables de dire si c’était elle qui était au bourdon, avant de chercher à savoir quelle famille était frappée par le deuil. Pour assombrir encore un peu ma vie, elle avait projeté de m’acheter une robe de bure pour que je puisse dire la messe devant la cheminée qui faisait office d’autel avec un napperon brodé, tout blanc. Moine c’était le premier grade, je connaissais le rite par cœur et son ambition était de me voir un jour au pied du tabernacle tenant bien haut le calice pour le présenter à l’assistance, très nombreuse à l’époque dans l’église Saint Nicolas. Hélas pour elle, j’étais le diable, elle le Bon Dieu. Ce fut, entre nous, un jeu de chat et de souris. Elle ne m’en a jamais tenu rigueur, cela semblait plutôt l’amuser aussi.

clocher denisEt par tous les chemins, il revient.

La partie basse du clocher était sombre. Seul un rai qui venait des parties hautes assurait un semblant d’éclairage. Après quelques minutes, l’œil s’habituait à la pénombre pour découvrir des toiles d’araignées, presque des draps tendus, solides comme des tulles serrés de coton. On imaginait de grosses bêtes noires cachées au fond d’un long tunnel consolidé par la poussière qui s’était accumulée, tombant des étages supérieurs. On ne s’approchait pas trop de ces pièges pour éviter toute rencontre intempestive. Le sol en terre battue mais gondolé puisqu’on avait oublié de l’araser, dégageait un remugle de cave qui n’avait jamais connu la lumière du jour. Un endroit idéal pour conserver vin de messe et fromage à croûte fleurie. Un désordre invraisemblable régnait dans cet endroit où l’on entassait des vieilleries sans trop s’attarder. On redoutait toujours qu’une cloche nous tombe sur la tête. Seul l’espace réservé aux cordes chues du sommet restait libre.

Certains soirs c’était cinéma. Tante entretenait la salle, s’occupait de l’affichage les jeudis et les dimanches. Le projectionniste arrivait de Propriano juste pour assurer la séance. Marie était la reine du coin. Elle faisait office d’ouvreuse en dirigeant ceux qui n’étaient pas des habitués vers leur fauteuil numéroté. Elle ne savait pas lire les nombres mais comme pour les télégrammes, elle avait bonne mémoire. Vers le milieu des années cinquante/soixante nous avions droit avec très peu de retard par rapport aux autres salles, à des films de grand cinéma. Le pont de la rivière Kwaï, Les canons de Navarone, Spartacus, Samson et Dalila, L’amour de la vie qui m’avait marqué avec la chanteuse noire dans une église à l’occasion du décès d’un enfant. J’en frissonne encore… Dans ces cas, l’affichage était grandiose. Je me souviens d’un pont peint sur contre-plaqué qui couvrait tout un pan de mur devant l’entrée côté Sorba, la rue principale. La façade Grimaldi où se tenaient les séances était très visitée ce jour-là. Des images qui me reviennent et rappellent à quel point le village a décliné. Pour toucher un peu plus d’argent, Marie faisait la promotion du film à venir sans rien connaître du scenario. Achillu vantait ses canestri en courant les quartiers avec sa panière pleine et tante Marie promettait un prochain film venu d’Amérique à ne surtout pas manquer. Avant de partir, le projectionniste lui refilait quelques pièces voire un billet les soirs de grande affluence. Tout se faisait sans parole, elle fourrait son porte-monnaie sans chercher à savoir ce qu’elle y mettait. Elle était toujours contente car cette tâche lui prenait peu de temps et lui procurait bien du plaisir.

En bonne ouvreuse, elle avait toujours sa lampe dans la poche. Il lui est même arrivé d’éclairer l’écran lors d’une scène obscure. C’était au début, elle ne savait pas encore que c’était la bobine qui commandait… Pour avoir un rôle utile aussi, je faisais rentrer un ou deux amis en cachette lorsque l’opérateur était dans le petit resserré qui servait de cabine de projection. A ce jeu, Alain était presque un habitué et se tenait prêt dans un coin du couloir… Nous étions toujours ensemble.

Il arrivait de temps en temps qu’Yvon Yva, le fakir venu d’ailleurs, se produise à l’entre acte. C’était dans la pure tradition de l’art, avec turban, moustaches rebiquées et pantalon bouffant en soie brillante rouge ou bleue. Le clou du spectacle était très attendu par les jeunes hommes de l’époque. Francis dit « di Farrandu » en était fan absolu. Yvon Yva dessinait une cible sur sa poitrine et un spectateur posté à quelques pas, devait tirer une balle dans le mille avec un pistolet dont on bourrait le canon de poudre avant d’y introduire une balle « sous les yeux de tous ». Les tireurs se bousculaient pour avoir le privilège de « descendre » le prétentieux.  Dans un silence de mort, le coup claquait puis le sourire triomphant, le fakir exhibait la balle entre ses dents. Tante était aux anges : «  A vistu ? Quissu un’ mori micca ! » (Tu as vu ? Celui-là est immortel !)

Nous partions vers minuit avec la 2CV Citroën du projectionniste César qui travaillait pour M. Teisseire et reprenait le chemin de Propriano. Parfois nous gagnions le domicile à pied, encore un long parcours dans le noir sous la lune qui nous éclairait le chemin par intermittence.

Demain matin, je me lèverai à l’aube car le professeur de français était dans son fauteuil attitré. J’aurai droit à l’interrogation de circonstance pour vérifier si j’ai bien appris mes leçons. Avec ce système éventé, je n’ai jamais été pris en défaut… De la sorte, je ne négligeais rien.

C’est encore dans l’obscurité que j’ai vu un peu de lumière… Un faisceau toujours lumineux à travers le plaisir de raconter.

IMG_0343Le quinquet ou lampe à pétrole.

 

 

 

8 Comments

  1. Cher Simon, quel bonheur de vous lire encore une fois. Bien que naît en 62 j ai connu le cinéma à Levie. Ma grand-mère lucia Guigli habitait juste en face sous la pâtisserie des Leonetti au dessus de chez elle habitait Francis dont vous parlez. Je ne garde pas un très bon souvenir du cinéma, car no
    M’obligeait à suivre mon frère qui pestait pour voir des films de Kunfu.
    Je déteste cela encore aujourd’hui.
    Amitiés

    1. Bonsoir Marie Andrée, je suppose.
      J’ai bien connu votre grand-mère qui habitait à trois ou quatre petits mètres seulement du cinéma. J’imagine, l’ambiance dans la ruelle les jours de séances.
      Je vous remercie pour votre commentaire qui confirme mes propos.
      Bona sera.

  2. Intéressante chronique « di tempu fa ». Des tranches de vies irremplaçables – pour moi encore inconnues – et des personnages (comme ta tante Marie) qui se raccordent à mes propres souvenirs et me garantissent contre l’oubli ! Le Cinéma Teisseire (je l’ai connu aussi ! j’étais très jeune (né en 1957) c’était au tout-début des années 1960…), Achillu le boulanger (et petit cousin) qui revient ! …Cette histoire d’estafette pour le port de télégrammes (mauvaises ou bonnes nouvelles !) je l’ignorais : elle doit remonter à une époque très ancienne (fin des années 1950’s ?)… Ce que j’ignorais aussi, c’est la prestation du fakir YVON YVA au village : était-ce fin des années 1950 ou début des années 1960 ? Ce qui est assez curieux, c’est que j’ai aussi connu le fakir YVON YVA devenu hypnotiseur !… C’était au Lycée de Sartène (vers 1974) et j’avais été impressionné/intrigué par la séance d’hypnose (avec des participants lycéens !) et par le discours du fakir sur la voyance, sa théorie sur la ré-incarnation perpétuelle de l’esprit/corps, l’hypothèse de civilisations disparues, voire la communication avec des civilisations extra-terrestres au delà des années-lumières via des énergies fulgurantes (mais ceci découlant de cela, j’entrais déjà dans domaine de mes cogitations et gamberges personnelles…) Pour tous ces souvenirs idéalement contés, encore une fois, Merci à toi Simon. – J.P.P.

    1. Bonjour JP.
      Yvon Yva se mettait en état de catalepsie. Je me souviens de ses doigts qui s’enfonçaient dans son cou, son visage rouge se congestionnait puis son corps se figeait, devenait raide… on lui cassait une pierre de taille sur le ventre avec une masse alors qu’il était allongé sur une planche à clous. Cette séquence, avec celle du pistolet, attirait beaucoup de jeunes adultes au cinéma de Lévie ce jour-là, pour rien au monde, ils n’auraient manqué ces expériences qui les fascinaient… et plus encore.
      Merci JP

      1. …Tu me confirmes ainsi que le fakir YVON YVA pratiquait déjà l’auto-hypnose (c’est vrai ! C’était sa spécialité !) mais personnellement, je me souviens aussi qu’il pratiquait aussi l’hypnose sur le public (!) choisissant d’autorité quelques jeunes parmi les adolescents que nous étions alors au Lycée de SARTENE (au premier trimestre 1974 – si j’ai bonne mémoire – soit 10-15 après cette prestation lévianaise ?)… Je ne suis pas convaincu que son show soit « bidonné » mais il a refusé d’autres sujets qu’il a déclarés non-hypnotisables (!) dont je faisais partie ! …Quelques dizaines de minutes plus tard, à la fin de la séance, il y eut un débat avec le fakir sur le thème de l’hypnose organisé par le staff du Lycée (et je me souviens à ce moment que le Directeur – dont j’ai oublié le nom (!) – Simon, viendra-tu au secours de ma mémoire, en te souvenant de son nom de famille ?… Toi qui a connu le Lycée Clémenceau ! …le Directeur communiste du Lycée déclara, en rougissant, que pour son compte il ne croyait pas du tout à l’hypnose !) …et au cours de ce même débat un lycéen de ma classe a demandé à YVON YVA pour quelles raisons il avait automatiquement refusé d’hypnotiser certains élèves. La surprenante Réponse du fakir était : « JE N’hypnotise pas les Virginiens ! » …Silence de la foule. Que voulait-il dire par ces mots ??? … Et pourquoi ?? …Je ne l’ai compris que quelques années plus tard en m’intéressant à l’astrologie : Virginiens pour signifier la Constellation de la Vierge !!!??? Comment avait-il deviné que je suis du Signe de la Vierge ? …Si c’est de cela dont il s’agit ? Cette divination était-elle valable pour un ou deux camarades de classe (de ce même signe ?) qui ont eux aussi posé la même question ?… Télépathie ?… Mystère entier. L’astronomie viendra-t’elle au secours des intuitions les plus folles ? (YVON YVA avait exposé en public ses intuitions fulgurantes sur des contacts possibles avec des civilisations extra-terrestres de galaxies disparues !… Il argumentait sur une forme d’immortalité cosmique dont l’humanité serait un exemple. L’hypnose empirique ou scientifique serait aussi un mode de compréhension de différentes (ré) incarnations. Personnellement, j’y ajoute le mondes des rêves et les créations artistiques. Nous étions en 1974)

  3. Simon, merci pour ta réponse ! (Dans mon commentaire ci-dessus, il fallait lire : « 10-15 ans plus tôt » en référence aux séances lévianaises d’auto-hypnose du fakir YVON YVA)…

    1. Bonjour JP.
      En ce qui me concerne, je ne serai pas aussi précis que toi pour les années. En 74 j’étais loin déjà. Je pense qu’à Lévie Yvon Yva a dû venir dans les années soixante.
      Le directeur du Lycée, je suppose que tu parles des « surgés », deux noms me semblent possibles soit M. RENUCCI soit M. FEDONI. Ce sont les derniers que je connus.
      Pour tout le reste, je te laisse à tes impressions car beaucoup trop d’éléments objectifs manquent pour entrer dans un débat. Et puis le propre des magiciens et des fakirs n’est-il pas de semer le trouble dans l’esprit des gens ? Je ne saurais aller plus loin. L’éternel débat entre « croire » et « savoir », « persuasion » et « conviction »…
      Je te remercie pour tous tes commentaires, je ne pensais pas qu’Yvon allait, irait, puisqu’il y va, jusqu’à déclencher tous ces souvenirs. C’est plutôt sympa JJP.

  4. C’est sans doute vrai, nous sommes à la recherche du Merveilleux, comme pour pallier aux déceptions de la vie. Mais ces croyances personnelles agrémentées de pseudo-vérités scientifiques nous permettent une entrée en matière pour de véritables libres-pensées scientifiques. Pour le nom du Directeur du lycée de mon époque, c’était, Monsieur LUCCHINI, je crois bien, cela m’est revenu. Il était secondé dans sa tache par une Surveillante générale (Mme SUSINI) et LE Surveillant Général (M. RENUCCI, ancien champion de boxe) qui était à la fois craint et respecté. Juste au-.dessus, se trouvait le Proviseur, bien discret en revanche. Bien amicalement.

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