Le passéiste.

 

IMG_3987-002Du passé dans le présent.
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Comment vous dire ?… Qu’un féru d’histoire passe ses meilleurs moments à feuilleter la mythologie grecque, sa période préférée, qu’y-a-t-il de vieillot dans son comportement ? Qu’un nostalgique du bâton de réglisse se remette à sucer un morceau de branchette comme il le faisait naguère qu’y-a-t-il de poussiéreux dans cette attitude ?

Je n’y vois que plaisir et le plaisir est actuel. Se faire plaisir en revisitant ses meilleurs moments passés c’est comme si l’on allait au cinéma revoir un film de Charlie Chaplin, un film de Tati, un Laurel et Hardy ou simplement un western spaghetti. Une sauce ratée vous renvoie aussitôt aux plats de grand-mère. Un tableau de maître n’a pas d’âge, il ne vieillit pas. Il n’y a pas de progrès dans l’art, les peintres d’aujourd’hui ne sont pas meilleurs que ceux d’hier et d’avant-hier. Il n’y a pas de vieillissement dans le plaisir, il n’y a pas de date de péremption, on peut célébrer le présent avec des paillettes du passé… Ces moments imprimés à jamais dans le corps et l’esprit.

Alors, je vais, lorsque l’envie me prend, revisiter mon passé. Je suis un passéiste heureux si cela peut arranger les choses. J’aime les souvenirs et revisiter mon enfance. J’ai l’impression de ne pas vieillir, être encore ce gamin insouciant qui explorait la vie par le bout qui se présentait à lui. Une manière d’être dans le temps, dans tous les temps, comme si « l’ici et maintenant » avait besoin de racines.

Je me souviens d’Antoine mon ami parti trop jeune qui cherchait à me rabattre vers l’église avec son histoire d’œuf et de poule. Il était désolé de me voir m’éloigner du lieu de nos prières et dans sa bonté naturelle, il comptait bien me repêcher. Lui, le croyant fondamental rempli d’humanité, je ne l’oublierai jamais. Nous avions vingt ans. D’ailleurs, j’ai l’impression qu’il est encore avec moi, je suis resté agnostique, le doute est toujours d’actualité.

François me priait de le suivre jusqu’aux châtaigniers pour fumer une cigarette dans le tronc brûlé, vidé de sa substance, dont il avait aménagé l’intérieur. Il prétextait, à la bonne saison, que sa sœur Zaïra avait « faim de fraises ». Il y avait plein de fraises des bois dans la châtaigneraie. C’était un bon moyen de me persuader d’y aller. Lorsque je cours la campagne en quête de photos bucoliques, cela me revient forcément.

Alain son frère m’amenait au « Casino », notre repaire secret où nous jouions aux cartes à la lueur d’une bougie. Nous avions transformé une sorte de petite dépendance désaffectée en salle de jeu enfumée. Plus tard nous nous entraînions pour le rallye de Corse avec la Dauphine de son frère aîné. Un Zonza/Lévie à fond la caisse entre minuit et une heure du matin, lui au pilotage et moi à la place du mort sans ceinture, le nez collé contre le pare-brise. Je sortais précipitamment au pointage imaginaire pour valider notre passage en faisant mine de tamponner la feuille de route. Un soir, je suis sorti sans attendre l’arrêt de la voiture pour gagner une poignée de secondes, cela m’a valu quelques tonneaux au milieu de la route et une bosse au milieu du front. Nous repartions aussitôt en chronométrant tout le parcours.

Avec Jean, côté pêche, nous allions poser quelques lignes de fond à la tombée de la nuit que nous relevions au retour du cinéma en revenant de Sartène bien après minuit.

Avec le petit Simon, aujourd’hui Simon vieillissant comme moi, nous jouions aux billes (au triangle*) en tête à tête alors que nous étions fâchés. Le sort nous avait désignés adversaires donc nous obéissions à la règle sans piper mot. L’un misait pour l’autre automatiquement chaque fois qu’il se retrouvait sans munitions, en attendant l’adversaire suivant. Ce n’est pas chose courante, je l’imagine peu probable de nos jours.

Avec les filles nous avions quelques petits faits secrets que personne ne connaissait et que je ne vous raconterai pas non plus. Des souvenirs encore tout frais, des moments gentillets ou carrément chargés d’émotion qui surgissent du passé pour rajeunir le présent.

Dans le quartier, à l’école, au lycée, des milliers de petites anecdotes se sont empilées au hasard des choses de la vie. Chaque suggestion est un chapitre de mon histoire, comment ne pas y revenir de temps en temps même si je souris tout seul à ces clins d’oeils* du temps lointain, encore si proche ?

Etre passéiste c’est sans doute vivre au présent en faisant une place visible au passé pour mieux courir avec le temps.

*Le triangle = jeu de billes. Chacun mise deux ou trois billes en les plaçant dans le triangle à sa guise. Le jeu consiste à sortir le plus de billes de la figure triangulaire en évitant de faire un carreau  qui obligerait à passer son tour…
* Des clins d’oeils est bien le pluriel de clin d’œil (et non yeux)

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