Une drôle d’histoire.

Cette drôle d’histoire est un souvenir de lycée.

J’en fais le récit aujourd’hui alors que cela devait rester un secret, un secret de Polichinelle après six décennies passées.

C’était ma première année d’interne au lycée de Sartène.
J’arrivais de mon village et trouvais, en internat, un large panel de lycéens venus de toute la Corse.
Le gros du contingent concernait l’Alta Rocca, la région sartenaise jusqu’à Bonifacio et Porto-Vecchio.
Quelques autres venaient de Haute Corse, ils étaient peu nombreux et ne rentraient pas toujours chez eux le samedi.
Parmi ces nordistes, j’avais des amis qui, de temps en temps, passaient le week-end chez moi à Levie.
André Sammarcelli qui fit une carrière de médecin, décédé depuis peu.
François Mancini, dentiste, me rend visite une ou deux fois par an, soit au village soit à Bastia. C’est une joie toujours renouvelée de nous rencontrer, malgré les souvenirs qui ne varient jamais.
Le répétitif ne tue pas. C’est un réel plaisir de se remémorer inlassablement les mêmes faits qui ont marqué nos années lycéennes…

Après cette petite digression, revenons à notre anecdote.
Fraîchement entré en internat, j’étais plutôt dans l’expectative, j’observais mon nouveau monde avant de me livrer.
Le hasard a voulu que mon lit superposé se trouvât couplé à celui d’un proprianais dont je tairai le nom.
On ne se connaissait pas, lui pionçait au rez-de-chaussée et moi à l’étage.
C’était un garçon assez réservé, il parlait peu et se montrait plutôt sombre, c’est ainsi que je l’avais catalogué les premiers jours. Au fil du temps, nous apprîmes à mieux nous connaitre.

Un soir, alors que nous n’avions échangé que quelques mots, je dormais profondément, il devait être une heure du matin lorsqu’il me réveilla en tapant sur mon matelas. Je me suis penché pour savoir ce qu’il voulait :
– Je vais commencer à faire mon scandale, ne t’étonne pas et ne bronche pas, me dit-il à voix basse.

Je n’avais pas trop compris ce qu’il voulait faire lorsque je l’entendis hurler avec une tonitruance que vous ne pouvez imaginer. Il criait à tue tête comme le font les rabatteurs à une battue de sanglier.
Il criait en corse comme s’il était à la chasse. Cela dura une dizaine de secondes, un temps suffisant pour réveiller la conséquente chambrée et le pion de service qui dormait dans sa cabine à rideaux, située au milieu du dortoir.

Des têtes se sont dressées à l’unisson, le pion réveillé en sursaut alluma sa lampe de poche, les autres au sommeil lourd étaient profondément endormis, c’était mon cas, je simulais, évidemment. A l’étage inférieur, le rabatteur était retombé lourdement dans les bras de Morphée, j’imagine.
Le surveillant visitait tous les lits en ciblant l’endroit d’où venait la voix.
J’étais bien embêté, je faisais semblant de dormir, mais je craignais d’éclater de rire lorsque le faisceau lumineux éclaira mon visage. Heureusement, le cerbère de service était de mon village, il se doutait bien que je n’étais pas en cause.
Il fit chou blanc. De retour dans sa loge, il laissa sa lampe allumée faisant mine de rester aux aguets.

Notre aboyeur d’après minuit renouvela l’expérience un mois plus tard avec un autre pion. Il procéda exactement de la même manière en me prévenant d’abord.
Il s’en tint à cette deuxième fois, plus jamais ne renouvela sa courte mais vibrante vocifération nocturne, du moins à ma connaissance.

Jamais personne n’a su que c’était lui qui criait si fort, ni pourquoi il agissait ainsi.
Très intrigué, je lui ai demandé des explications, il m’a répondu qu’il aimait bien faire le scandale tout seul, sans prévenir les autres, moi mis à part car j’étais son co-locataire.

Soixante ans plus tard, le voilà à moitié démasqué.
Sacré voisin !
Les comiques aiment bien se donner en spectacle, il était acteur et public à la fois, une mystérieuse affaire, il faut bien l’avouer.
J’ignore ce qu’il est devenu.

Les jours festifs, l’allégresse féminine surpassait, effaçait, le masculin…

3 Comments

  1. Bon 1er mai à vous aussi Simon.
    (Cette année une belle météo a mis dans le jardin de beaux brins de muguet et des lilas superbes !)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *