Le vendeur de canestri… et les vendeurs de rêve.

030« Chi u Signori ci mantenghi a saluta e u restu… »* C’est ainsi que certains expriment le fatalisme ou leur impuissance. 
Achilu était un personnage fort sympathique, une figure incontournable du paysage lévianais dans les années soixante. Mari de boulangère, c’est ainsi qu’on définissait certains métiers, on le désignait vendeur pédestre de canestri à domicile puisque le terme d’attaché commercial n’existait pas encore. Il arpentait les rues du village, les samedis de préférence, jours de canestri. On le reconnaissait facilement à sa silhouette surmontée d’un béret enchâssé sur le haut du crâne. Tel un Charlie Chaplin local dans son allure, il se dandinait avec sa panière au bras dont le contenu restait masqué par une serviette toujours très propre. Lorsque son visage apparaissait dans l’entrebâillement d’une porte, il était toujours le bienvenu. C’était l’occasion de se rencontrer quelques minutes seulement car il était pressé de vider sa valisette en osier tressé par un artisan du coin. Tel un magicien fier de présenter son numéro, il découvrait son trésor en soulevant le coton occultant pour vous faire sentir l’arôme encore chaud de sa production du jour. Des gâteaux en forme de couronne de facture artisanale, cuits au feu de bois dans son four à pain. Son slogan était invariable, reconductible à l’infini comme un « demain on boit à l’œil ». Avec sa gentillesse légendaire, il sortait volontiers sa recommandation perpétuelle : « Profitez-en, comme aujourd’hui, je n’en ai jamais fait ! Elles n’ont jamais été aussi bonnes ! » Achilu faisait partie de ces gens mascottes qui résistent au temps. Qui l’a connu s’en souvient encore.
Bientôt, début décembre juste avant le Père Noël, ce sera période électorale. Les vendeurs de rêve seront dans la campagne, ils y sont déjà. Tous ont des canestri à vendre. Des promesses plus alléchantes que jamais, vous allez voir ce que vous allez voir. Les vieilles connaissances comme les apprentis déjà un peu aguerris, vous promettent le bonheur. L’argent va pousser au bord des chemins, il suffira d’un peu de peine, se baisser pour le cueillir. Les listes se font et se défont puis on se rabiboche sans aucun état d’âme. On se boude puis on se soude. On menace et on se caresse. Au premier tour on se fait les gros yeux, parfois les cornes, au deuxième on oublie tout, on cherche une place bien au chaud. On se calme et c’est parti pour un tour tranquille. Ceux qui ont « déjà fait » feront encore mieux cette fois-ci. Au scrutin suivant, rien n’aura changé, on reprendra les mêmes et on recommencera. Des vendeurs de rêve qui parcourent les rues avec leur baguette magique, le sourire chaleureux, la poignée de main bien ferme et des gestes caressants comme on le ferait avec du bon pain.
Mais comment font-ils pour traverser de telles périodes qui altèrent la sincérité ? Parce qu’ils finissent par croire ce qu’ils disent…le temps d’un scrutin seulement. Après, on redescend sur terre en attendant la prochaine fièvre des canestri nouvelles. La réalité reprend ses droits balayant toutes les promesses.
Mille fois, je préfère me souvenir d’Achilu serrant des mains, faisant humer la chaleur qui se dégageait du fruit de son labeur… Modestement, à pied sans chauffeur, il promenait ses guiboles battant Navaggia, Castaldaccia, Insoritu, Vitalbettu et tous les autres quartiers pour gagner sa vie. Il filait vers les maisons des autres toujours marchant, toujours souriant…
Un brin de nostalgie comme un baume apaisant dans un monde arrogant.
Si les marchands de rêve ont toujours existé, ils sont de plus en plus visibles, envahissants car les médias nous les imposent jusque dans nos chaumières. Cherchez à vous évader, peine sera perdue, ils ont inventé le subliminal…
Une grande tristesse car on se demande s’il est possible de faire de la politique autrement. Cherchez bien. Hélas, je crois que vous en perdriez votre latin et votre temps, c’est bien ainsi que se pratique la meilleure pêche aux voix. Avec des asticots bien frémissants au bout de l’hameçon. Pour les canestri, on repassera…
* « Que le Seigneur nous préserve la santé et puis le reste… » On s’en fiche.

 

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