Oui, encore !

Je voulais passer sous silence ce qui cuisait dans la marmite, et puis certains ont insisté.
Beurk ! Vont s’écrier les fines bouches.

C’est toute mon enfance qui bouillait sur le feu.
Lorsque j’étais gamin, au fond de la Navaggia, le boucher était trop cher pour le portemonnaie familial.
Père allait parfois aider à l’abattoir qui se situait à quelques mètres sous la fenêtre de la chambre.
A funtanedda, exactement.
Il revenait à la maison avec les parties moins nobles de l’animal, qui étaient jetées dans le ru si personne n’était sur place pour les récupérer. Les gens pauvres du quartier, y allaient à tour de rôle, en fonction du boucher qui abattait ce jour-là. Ces derniers avaient leurs préférences.
Tantôt, père revenait avec un foie de bœuf entier, tantôt avec des rognons ou du ris de veau qui aujourd’hui coûte une fortune. Une langue ou la tête du veau et le plus souvent des tripes.
Grand-mère et maman filaient à la rivière pour les laver à grande eau. Elles revenaient avec des bassines remplies d’entrailles que mon aïeule cuisinait à merveille.
Ce jour-là, c’était cocagne à la maison.

Tous ces abats gratuits, sont aujourd’hui très chers.

C’étaient donc les tripes de mon enfance qui cuisaient au feu de bois, hier soir.
Je les ai achetées, elles étaient sales, encore vertes de débris végétaux.
Mal lavées, on se demande comment elles ont pu se retrouver sur le présentoir des abats avec les contrôles que l’on dit si stricts. A travers la vitrine de leur barquette, elles avaient triste allure et même un aspect répulsif.
Je me suis laissé tenter par le souvenir de mes jeunes années, j’ai voulu jouer à mémé qui cuisine. J’ai suivi tous ses rituels, du lavage à la finition du plat.
Les laver ne fut pas une mince affaire, elles sentaient les tréfonds des vaches, j’ai dû gratter et gratter encore, les lessiver à renfort de vinaigre jusqu’à obtenir une blancheur engageante et l’odeur convenable.

Elles ont cuit durant 3 heures avec des pieds de veau avant d’êtres cuisinées au petit matin, en phase finale.

Les voici après une une nuit au frigo :

Ce matin donc, j’ai commencé ainsi dans très peu d’huile d’olive.
Mélange. Les tripes ont cuit 3 heures, la veille, avec du laurier.
Les plus petites pommes de terre arrachées au petit matin ont accompagné l’ensemble.
Une heure après, à très petit feu. J’avais ajouté deux grosses louches de gélatine de la cuisson préalable.
Encore une petite heure, les pommes de terre sont fermes.
Contrairement à la vision du plat, la sauce n’est pas liquide mais gélatineuse.

Au bout du compte, la prochaine fois, je ferai des pieds de veau sans les tripes.
Même procédé. Une fois cuits, les pieds désossés sont très moelleux et beaucoup plus fins au goût que les tripes.
Lorsque j’étais jeune, j’adorais la fraise, une partie très savoureuse des tripailles, aujourd’hui on en trouve très peu dans la barquette, voire pas du tout.

Si notre régal de naguère n’est plus au rendez-vous, je vais définitivement me consacrer aux pieds de veaux, c’est moins de travail pour les nettoyer…

Qui a beurké ? Ne dégoutez pas les autres, retenez vous !
C’est délicieux, je vous assure !

Certes, j’ai connu le temps des vaches maigres, on apprenait le goût des choses.
L’enfant qui déclarait son « Beurk » à table était privé de repas jusqu’à ce qu’il retrouve raison !
Chez les gens modestes, on apprenait à savourer la cuisine de grand-mère en même temps que la vie.
Gare à celui qui allait goûter le labeur des autres en s’introduisant dans leurs jardins.
Père veillait et savait ce que labeur signifiait…

Les prix ont augmenté, la vie devient plus difficile mais nous avons conservé nos réflexes des temps faciles.
Un jour, il faudra se mettre au goût du temps, en attendant de repartir de plus belle.
La vie est ainsi, un balancier qui ne cesse d’osciller d’un extrême à l’autre, pourvu qu’on ne soit expulsé de l’escarpolette…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *