Un homme accompli.

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Et sans doute heureux. Il est difficile de s’avancer de la sorte, de s’exprimer à la place des autres mais c’est ainsi que je l’ai ressenti.
Notre dernière rencontre, qui fut aussi la première, datait de quarante-quatre ans. Je n’en ai perdu aucune miette. J’ai tout gardé dans un coin de ma mémoire, proprement, bien plié comme si je devais restituer cela un jour. Au fond c’était un peu ça ou du moins, dans mon inconscient, je le souhaitais. J’avais besoin de lui dire à quel point notre rencontre fut importante pour moi, toute ma vie s’en est trouvée bouleversée et je lui dois la direction qu’elle a prise.
Sa vie fut riche et bien remplie. Avec le temps, je mesurais le côté dérisoire de mon évocation, je me trompais. Le rappel du plus petit évènement, lorsque les choses sont simples mais comptent dans une vie, peut susciter le plaisir. C’est en mettant des faits ordinaires en perspective que l’on relativise et découvre des impacts insoupçonnés.
Il avait souhaité me rencontrer et je sentais à travers sa lettre toute la force de son attente. (Voir le texte intitulé « La lettre ») Ce fut un grand plaisir pour moi et pour mon fils qui m’accompagnait.
L’accueil est chaleureux. Un grand retour dans le passé comme pour, enfin, boucler la boucle de notre famille. J’apprends beaucoup de choses. C’est comme s’il n’avait jamais quitté la Corse. Rien ne lui manque. Il a tout gardé en mémoire. Des vécus encore très frais comme s’ils dataient d’une semaine et surtout comme s’il avait toujours fréquenté les endroits qu’il évoque. Je suis à côté de lui dans la charrette sur la route de Carbini tant son récit est vivant et encore actuel. Des passages évoqués dans un corse impeccable avec des expressions typiques de notre village. Un parler bien de chez nous, à faire honte à certaines personnes qui n’ont jamais quitté la Corse.
En l’écoutant, je remarque tant de similitudes entre nous. Une mémoire profonde et puissante, le récit vif, imagé capable de vous transporter dans un film et ce sourire permanent durant son évocation, qui montre à quel point nous aimons notre passé et notre famille. « J’ai eu de la chance dans ma vie » dit-il de temps en temps. Ceux qui suivent mes textes savent que je le dis souvent aussi. Tout me semble parcours heureux, je n’ai retenu aucune embuche… Il semble avoir également évacué les moments pénibles, il ne les porte pas comme un fardeau. Il a mis les scories de côté sans forcément les oublier mais neutralisées, devenues inoffensives, sans effet sur lui. Impression ou réalité ? Je ne saurais le dire.
Lorsque je l’ai rencontré à Paris, il y a si longtemps, j’étais parti dans la capitale pour chercher vie. A peine marié, un mois seulement, ma femme et moi sommes partis à l’aventure, sans bagages. Vite perdus dans les rues de Paname, j’eus l’idée de lui rendre visite impromptue sur son lieu de travail, l’Hôtel de ville de Paris. Une ville dont il était président du conseil, faisant office de maire à l’époque. La chance de porter le même nom que lui m’a valu l’attention d’une personne qui me renvoyait à la réalité, à juste titre. Je veux dire qu’elle cherchait à me faire comprendre qu’on n’est pas reçu comme ça sans rendez-vous. La suite nous appartient. Une rencontre, un grand virage et puis la vie… une longue vie pour fonder une famille. Peut-être cette vie, ces points de similitude sans doute tirés d’un patrimoine génétique commun venant de nos aïeux, s’il faut trouver une raison, ont-ils veillé à ces retrouvailles.
Jacques était le cousin germain préféré de mon père. Il avait toute son admiration. Avec le recul et le temps, je crois qu’il aurait voulu que je sois son Jacques à lui. J’étais sa revanche sur sa vie et un jour, il me fit traverser le village comme un sous-préfet montrant ses galons. Il avait demandé au taxi de nous laisser à l’entrée de Lévie pour que sur le passage, à pied, chacun puisse voir mes trophées de la remise des prix… Jacques a traversé ce même village accompagné d’un préfet… il était ministre.
J’ai rencontré un homme accompli, un homme heureux… je veux bien garder cette image.
Nous nous retrouverons, sans doute au village, pour poursuivre notre conversation…

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