Un éditeur ça trompe énormément.

Je n’édite ni médite, mais je trompe énormément.
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Quelques personnes se sont étonnées que je n’aie point de bibliographie. D’autres sont surprises que j’écrive dans un blog comme une sorte de gaspillage, des textes jetés aux quatre vents. Tellement jetés qu’on en perd beaucoup, alors que dans un ouvrage, ils sont disponibles en un même lieu puisque le livre est un recueil de phrases, donc un endroit. Le blog aussi, mais sans alerte, il reste confidentiel. Il n’y a pas de promotion, pas de séances de signature. Je déteste cela chez les autres, vous imaginez pour moi… Ce n’est que du marketing. On peut se faire aimer à travers un livre sans pour autant se prêter à la signature publique. Ou alors, au coup par coup, par affection ou par sympathie mais pas à la queue leu leu. Edition oblige… Oblige trop ?
Il m’arrive d’en rire et cela surprend. Je ne sais pas vendre, je sais donner lorsque ça me chante et ça me chante souvent. Parfois même, ça me chante bêtement. Comme ça, par envie ou sur un élan.
L’éditeur n’est pas un mécène c’est un marchand comme un autre. Il est donc normal qu’il cherche à gagner quelque argent en éditant. D’ailleurs, il se protège. Chacun sait qu’on ne publie pas à la légère parce que l’envie d’écrire vous prend soudain. Le parcours est difficile, il faut aller à la charge souvent. Si vous n’avez pas bon moral, si vous n’êtes pas persévérant, pas convaincu de cogner encore et encore, mieux vaut rester tranquille car vous risquez de prendre quelques coups sur la tête et tomber à genou.
Pourtant, si vous êtes si fragile, si vous lâchez prise facilement, si vous n’avez pas envie de vous accrocher, peut-être avez-vous une richesse sous-jacente. Cela devrait parfois intriguer, pas souvent bien sûr, car peu lui chaut. C’est votre problème, pas celui de l’éditeur, et pourtant les livres sont farcis de problèmes et plus il y en a, plus on fouille. On adore les faiblesses avouées. On y voit beauté d’âme et force dans la fragilité…
J’ai fait cette expérience, il y a une trentaine d’années avec une grande maison d’édition parisienne. Une expérience à la fois heureuse et malheureuse. Heureuse car je me suis présenté tout seul comme un grand, sans l’aide de personne, décrochant, à ma grande surprise un contrat de vingt-ans avec cette maison prestigieuse. Malheureuse car je n’avais aucune expérience et me suis conduit en parfait candide, délivrant tous mes secrets d’un coup. Trop fier d’avoir gagné la confiance des dirigeants de cette édition.
Le jour de la signature, je faisais un aller/retour entre le cimetière de mon village et les bureaux parisiens. J’avais l’impression que mon père me voyait, non pas du ciel, mais du flanc de la nécropole lévianaise et qu’il me souriait. Je venais de faire un autre pas auquel je n’avais jamais songé. Ce n’était pas un but visé de longue ni de fraîche date. Il me semblait que mon expérience d’alors était suffisante pour proposer de quoi aider les enfants en difficulté. Plutôt une sorte de gloire que l’idée de gagner de l’argent. D’ailleurs, dans ma vie, je n’ai jamais porté sur moi ni carte bancaire ni chéquier, j’ai abandonné ce pouvoir à mon épouse.
En livrant tous mes petits secrets déjà ficelés, je n’imaginais pas que je commettais une erreur « fatale ». L’édition exploitait déjà le thème de certains de mes jeux et ne souhaitait pas lancer une nouvelle ligne. Le staff commercial m’avouait qu’ils étaient plus ludiques et plus complets puisqu’ils étaient nés de la pratique rééducative avec des enfants en difficulté, mis à l’épreuve sur le terrain. Ils ont donc décidé d’en geler le plus grand nombre. C’est-à-dire qu’ils les ont placés dans de l’azote liquide en attendant des jours meilleurs, avec l’interdiction contractuelle de les proposer à la concurrence.
Ainsi des jeux de langage comme « Petit perroquet deviendra grand » ou « A l’affût du temps » toujours d’actualité et encore exploitables en version classique comme électronique sont toujours congelés. Des jeux visant à décoincer des règles de grammaire, de mathématiques aussi, exploitant le sens du nombre, différenciant certains concepts de quantité avec celui de la taille… A chaque passage, l’équipe cherchait à connaître mon avis sur des jeux en préparation. Je me souviens de les avoir mis en garde contre le côté séduisant, souvent original de la pratique d’un jeu et son contenu qui manquait de clarté ne correspondant pas à l’âge des enfants. Un vocabulaire hors de propos parfois ronflant comme un tape à l’oreille mais totalement inadapté. Il parlait à l’adulte, pas à l’enfant. On privilégiait trop le ludique au détriment de l’essentiel. C’était comme un feu d’artifice qui une fois tiré ne laissait que des images insaisissables, inopérantes. Or, les miens visaient à faire évoluer un aspect carencé de l’enfant. Le tort de mes jeux était d’avoir toujours un but pédagogique bien ciblé bien qu’ils eussent des répercussions multiples sur la cognition. L’équipe, si j’en juge par l’ insistance à connaître mon avis, apprenait aussi de mes remarques mais se gardait bien de me le faire savoir. Cet intérêt, pourtant tu, me sautait aux yeux.
Lorsque j’ai compris que je ne commandais rien, que j’étais une marionnette entre les mains de marchands, je me suis éclipsé progressivement pour m’effacer totalement en attendant la fin du contrat. C’est chose faite depuis douze ans.
Un éditeur ça trompe énormément par la nature de sa fonction mais ça se trompe aussi. Refus chez l’un, peut être vérité et succès chez l’autre.
Cette expérience m’a laissé un goût très amer. J’en ai fait un rejet, une sorte d’effet répulsif, un tropisme négatif du genre chat échaudé… Réaction qui peut paraître trop simpliste et stupide mais c’est comme ça.
Je suis ainsi fait, d’une grande solidité doublée d’une faiblesse surprenante. De la sorte, on ne me met jamais à la porte, je pars tout seul. Quand j’entends parler d’éditeur, je sors mon révolver. Ceci dit, vous ne pouvez imaginer comme je suis bien dans mes baskets et heureux d’être ainsi. Mon seul regret c’est de ne pas avoir réalisé un ouvrage pour mes petites filles. Je reste persuadé que connaître la vie de ses ascendants, bi et tri-aïeux compris, a toujours un effet structurant, apaisant… Alors, sait-on jamais… il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis et je n’ai pas envie de partir avec cette distinction.
Le temps s’en fiche, il n’entend rien, ne voit rien. Il faut réaliser ses convictions avant qu’il ne claque la porte. Pour l’heure, je me prélasse au soleil de ma vie… peut-être, un jour, mes enfants récolteront les fruits de ce blog. J’ai le sentiment qu’ils seront mûrs après mon départ. Je tâte, je croque… il y a encore de l’acidité, ce n’est pas le moment de la récolte.
Il est fort possible que je me trompe énormément aussi… ce n’est pas bien grave, je ne trompe personne.
… Et moi donc.

 

 

 

 

 

 


2 Comments

  1. « Je suis ainsi fait, d’une grande solidité doublée d’une faiblesse surprenante » si vous le permettez, Simon je lis dans votre lettre un roc-métal- sage- fou- réaliste-envié -enviable par tous les coureurs d e fond qui veulent entrer dans la légende . Allez …..la liste des affectés et infatués est infinie .

    1. Bonsoir Luce.
      Tout ça ? C’est sympa !
      Alors, allons-y pour la totale : papier, ciseau, marteau et tout ce qui peut en dériver… Bona sera.

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