Une vie simple et banale, mais quel bonheur!

 Pour son fils et ses petites-filles.

Tante Marie passait beaucoup de nuits blanches.
Nous dormions dans l’unique chambre, je l’entendais converser à voix haute avec le Bon Dieu, une grande partie de la nuit. Elle le questionnait beaucoup et l’implorait de veiller sur les siens.
Levée tous les matins à quatre heures, à se demander comment elle pouvait tenir, le divin la soutenait, sans doute. Grande consommatrice d’hosties, très assidue à confesse, Dieu le lui rendait bien.

Je pouvais compter sur elle pour des révisions très matinales. Il suffisait de la prévenir la veille pour que je puisse profiter de la fraîcheur de potron-minet. Parfois, je le regrettais car elle était intraitable. Si j’avais demandé à être réveillé aux aurores, elle ne lâchait rien tant que je n’étais debout, le livre à la main. C’est aussi grâce à elle si j’ai progressé à l’école, même si je me rendormais sur un passage ardu. Je m’arrangeais pour que ce petit somme passe inaperçu mais c’était sans compter sur sa vigilance de cerbère… Je n’avais que très peu de chances de ronfler longtemps. De la sorte, elle a pris toute sa part dans ma scolarité au même titre que mes professeurs : elle qui n’a pas mis un pied à l’école, analphabète, s’est très bien acquittée de son rôle de pion.

Je commençais donc à lire plus souvent et à « prendre de la bouteille ».
Il était temps, c’était sur le tard, vers mes 13/14 ans.
C’est à la faveur d’une pensée de Fontenelle, grapillée dans un livre du côté de Cirana à la sortie du village, un petit martin de mai, que je pris goût aux aphorismes, très modestement au début, plus affûté par la suite.
Je faisais mes premiers pas d’agnostique grâce à Dieu et de va-t’en guerre contre l’obscurantisme.
Grâce à Dieu, tante Marie visait la prêtrise pour moi, ainsi j’étais de toutes les messes et rosaires, des matinales juste avant d’aller à l’école à la messe solennelle du dimanche, bref je naviguais entre nones, vêpres et complies.

Grâce à la sœur de mon père qui veillait sur mes études, je découvrais donc Fontenelle*, qui m’a tiré de ma léthargie :
« Assurons-nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause » écrivait-il..

J’avais au-dessus de mon lit, comme dans toute chambre de nos villages, une herbe de l’Ascension censée porter bonheur. Cette herbe cueillie le matin du jeudi de l’Ascension, avant le lever du soleil, continue à vivre dans les chambres, accrochée au mur au bout d’une ficelle, à s’épanouir, veillant sur toute la maisonnée. Mais gare au malheur annoncé si elle ne fleurit pas. On lui prête des vertus, notamment un impact sur la vie de la famille, à cause d’une curiosité que l’on refuse d’élucider afin qu’elle demeure bien  mystérieuse. Cela m’intriguait que personne n’en donne explication autre que transcendante. Je me suis donc informé, cherchant à mieux connaitre la plante.
Point de mystère si l’on se donne la peine de découvrir le mode de vie du sedum (nom botanique).

Faut-il tenter de démythifier et démystifier pour qui ne veut rien entendre ?
J’avais cette manie d’adolescent qui partait à la conquête de la vie, de vouloir tout porter au clair.

La pensée fontenellienne citée plus haut me frappait l’esprit : pourquoi parlent-ils des pouvoirs de cette plante, alors qu’ils ne savent même pas quel est son cycle de vie et qu’ils refusent de le connaître ?
Peut-être aurais-je dû penser : sont-ils en capacité et en volonté de comprendre ?
J’aurais dû ne pas troubler l’onde claire de tante Marie, immergée dans une rivière de persuasions religieuses, flottant dans la quiétude éloignée de toute réalité.
La douce paix dans son monde rêvé.

Cette plante bisannuelle vivace par ses feuilles est une plante grasse ou succulente (feuilles gorgées de suc nutritif). La première année, les racines ont une fonction de nutrition pour gorger les feuilles de réserves. La deuxième année les racines perdent leur fonction nutritive pour ne garder que la fonction de fixation, maintenir la plante arrimée au murailles. Les réserves des feuilles entrent en action pour nourrir une inflorescence qui achève le cycle végétatif.

Lorsqu’elle est prélevée dans son biotope, elle achève sa première année. Cette plante poursuit son évolution si vous l’accrochez au mur avec une ficelle, le plus logiquement et normalement du monde. Il arrive, lorsque les feuilles n’ont pas suffisamment de réserves ou que les conditions du local ne sont pas favorables, que la plante ne fleurisse pas… et là, c’est la catastrophe : un malheur va toucher la famille. Il y a toujours un parent proche ou éloigné à qui survient quelque « malheur » pour justifier cela. Et dans le cas contraire la mésaventure est vite oubliée.

J’avais repéré une plante voisine que je voulais placer au-dessus de mon lit pour prouver à tante Marie que cela marche aussi avec d’autres végétaux de la même famille sans être prélevés à l’aube.

Refus catégorique : Sacrilège ! Pas de ça chez moi !

Depuis ce jour, tante me faisait les gros yeux, me menaçait de sa canne, se mettait en colère en me traitant de Satan. Le petit Simon, son futur prêtre, avait quitté le monde de la vertu pour celui du péché.

Je suis certain qu’en son for intérieur, elle continuait à m’aimer tel que j’étais. Elle criait mais riait aussi, s’amusait parfois de mes facéties sacrilèges, ce jeu perdura jusqu’à mes vingt ans.

Au fond, à quoi servirait le bien s’il n’y avait le mal ?

Et Dieu existerait-il sans le diable ?

Le diable que j’étais devenu était un faux diable pour elle, c’était un jeu entre nous : elle n’avait pas à choisir entre diable et bon dieu, elle jouait avec cette nouvelle étape de sa vie.

Elle a aimé son diable autant que son Dieu… et même plus, je crois.
Dieu peut attendre, moi, je ne fais que passer.

Si son dieu existe, elle a dû lui montrer ce texte : « tu vois, il continue ! » 
Je les entends qui se bidonnent… et moi donc, mais pour combien de temps encore ?

Dans cette atmosphère tranquille, entouré de braves gens qui souhaitaient le bonheur à tous, dieu que je fus heureux ! Ma petite lumière émergea de points obscurs.
Science et savoir n’ont pas à inquiéter ceux qui nagent dans le croire…

*Bernard le Bouyer de Fontenelle (1657-1757) s’était attaché à une diffusion pédagogique des connaissances, à vulgariser les avancées scientifiques de l’époque pour combattre l’obscurantisme (refus de comprendre en restant figé sur des superstitions).

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