La lettre.

Surprise.
Hier matin, j’écrivais le texte « Evasions » dans lequel, je n’étais pas tendre avec la politique. Au courrier de midi, je recevais une lettre d’un ancien ministre. Une personne âgée que je n’ai pas revue depuis trente-cinq ans et avec laquelle je communique depuis deux ans. Je ne ménageais pas les hommes politiques et cela m’a fait sourire car cette personne tient une place particulière dans mon cœur. Un homme qui a compté pour moi à un moment difficile de ma vie lorsque j’étais rejeté à cause de mon carnet militaire qui mentionnait une défaillance auditive qui ne m’a jamais empêché de mener une vie normale, sans aucune gêne. Il ne se souvient sans doute pas de notre rencontre et du moment cocasse qui l’a précédée. Une scène incroyable ou du moins très inattendue que seules les choses de la vie savent inventer. Je lui raconterai cette entrevue à Paris, alors que je n‘avais même pas de valise en carton..
Je crois, car nous ne nous sommes pas encore revus, que c’est en lisant ou en entendant le récit de mes textes sur le village de Lévie que tout a repris cours. Plus particulièrement la vie de mon père.
Ils étaient cousins germains, mais aussi les meilleurs amis du monde. Mon père était plus âgé et montrait une certaine tendresse pour lui. Deux jeunes garçons aux profils diamétralement opposés. Lui, brillant élève qui se vouait au journalisme rêvait de conquérir la capitale et mon père analphabète savait tout juste parler français. Chaque élection à la députation ou à la mairie de Paris était saluée par une salve de mousqueton italien depuis la fenêtre de la chambre paternelle. Les gens du quartier apprenaient ainsi que le scrutin avait été favorable. Une petite fête était organisée avec les voisins pour saluer chaque victoire. C’était ma grand-mère qui se chargeait des beignets frits dans une bassine posée sur un trépied dans la cheminée. A défaut de champagne, quelques bouteilles de mousseux faisaient bien l’affaire. Si les femmes avaient droit aux bulles et au pétillant, les hommes préféraient festoyer au vin rouge. Rusticité oblige. C’était l’occasion d’entamer un « chjama e rispondi* » qui coulait de source lorsque la gaité « paroxysmait ». La joie à la Navaggia battait son plein alors que l’élu n’était au courant de rien. Une tradition qui permettait de partager l’allégresse d’une élection.
Papa était fier de son cousin, il fallait le voir annoncer la nouvelle dans le village. Il avait ce besoin de montrer que celui qui n’a pu accéder à la mairie de Lévie s’en est allé conquérir Paris. Une belle revanche dans son esprit. Le simple fait d’évoquer son cousin illuminait son visage et bien qu’il ne m’ait jamais rien dit, je pense qu’il se servait de cet exemple pour me pousser à étudier. Pour lui, le bachelier de la maternelle, qui n’a pas connu les bancs du primaire, l’école c’était la délivrance. L’homme libre dans sa tête. Il avait compris que de nombreuses choses lui étaient interdites à cause de ses carences. Un savoir limité aux tâches élémentaires de la vie.
Le jour de l’enterrement de mon père, pendant la messe, les visages se tournaient, des gens se touchaient du coude… je me suis retourné aussi, machinalement, par réflexe, il se trouvait juste derrière moi. Arrivé incognito, il était seul. Il n’était pas informé du décès. C’est en rentrant chez lui sur Ajaccio en provenance de Paris, en taxi, qu’il a vu l’annonce des obsèques dans le Corse-Matin. Il a demandé au chauffeur de le conduire vers le village situé à plus de cent kilomètres. Il tenait à accompagner son cousin avec nous jusqu’à sa dernière demeure. Ils ne s’étaient jamais oubliés.
Ce jour-là en parlant avec lui, j’ai compris les liens qui les unissaient si fort.
Il revient intensément sur son passé et ressent probablement le besoin de retrouver toutes ses racines.
Nous allons nous rencontrer très bientôt. Je lui raconterai Lévie si loin de Paris.
Si Jean de La Fontaine était encore vivant, il nous aurait sans doute inventé une fable. Je l’ai déjà imaginée… du genre : puissant et misérable qui s’entendent comme larrons en foire ou la vie de gens qui s’aiment par-dessus les écharpes… Des hommes seulement, c’est la vie qui nous le dit.
*Chjama e rispondi. Chants improvisés signifiant littéralement « l’un appelle et l’autre répond ». Sorte de joute de vers et de rimes qui peut durer longtemps selon l’inspiration et la virtuosité des chanteurs.

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