Le noyau.

Ce texte est une reprise.

Image en titre : Au milieu, l’entrée, à gauche la petite fenêtre au ras de la route, à droite la porte du garage.
A part la rénovation, rien n’a bougé.
Route de la Navaggia.

J’ai sans doute raté ma vocation à ce moment de ma vie, l’occasion était trop belle pour une grande carrière sur les planches, hélas, je n’ai pas su saisir ma chance. 😉

J’étais enfant de cœur assidu, titulaire du bénitier, du claquoir et du carillon au pied de l’autel. N’allez pas croire qu’il était facile de gagner la confiance du chanoine, non, non, elle s’obtenait à force d’abnégation, de présence assidue à toutes les messes. Aussi bien les matinales, les vespérales que les offices des dimanches et fêtes suivies de processions… C’était une affaire…
Chaque année, à l’approche de Noël, nous préparions une pièce de théâtre. Elle se déroulait dans la salle d’œuvres située juste sous le logement du curé. Un petit espace attenant au garage du presbytère sur le chemin de la Navaggia.

C’était là, dans cette salle où trônait une scène, comme dans un théâtre, que cœurs vaillants et âmes vaillantes chauffaient leurs chants pour les sorties de Pâques, notamment.
Nous étions fiers avec notre béret acheté chez Joseph de l’Insorito, marchand de journaux et bien d’autres choses, ou chez Reine à la Sorba qui tenait un immense local à mezzanine qu’on appelait « les Galeries Lafayette ». Nous exhibions tout aussi fièrement notre foulard dont les pointes étaient maintenues jointes par un nœud de cuir tressé.

Chaque année, nous jouions une comédie gentillette pour fêter Noël. 
Le clou du spectacle, invariable, était une tombola avec à la clé la traditionnelle bûche de belle facture, du plus beau bois chocolaté, confectionnée par les bûcherons pâtissiers Leonetti.
Cette dernière était très attendue, très convoitée même, l’émotion à son comble, culminait au moment du tirage au sort. Le gagnant quittait rapidement la salle avec son trophée sans s’attarder ou attendait qu’elle se vide pour éviter les bousculades.
La salle était petite, toujours pleine à craquer ce soir-là, et la scène très proche des bancs de l’orchestre.
Les chahuteurs de service se chamaillaient pour avoir leur place sur le rebord de l’unique fenêtre, très basse qui s’ouvrait au niveau de la route. Ils se postaient là pour échapper au curé en filant par cette sortie de secours lorsqu’il fondait sur eux pour les calmer. Très en jambes, vif comme l’éclair, il était impossible de fuir par la porte sans risquer de se faire choper par notre sprinter en soutane.

Je me souviens vaguement de cette pièce de théâtre, nous étions très nombreux à la jouer. Le but du jeu consistait à faire plaisir au plus grand nombre d’enfants en multipliant les figurants et les rôles très secondaires, avec un mot ou, au mieux, une phrase à dire.
Nous prenions ce rôle, même subalterne, très à cœur, nous attendions le moment de notre réplique avec impatience comme si nous allions, soudain, devenir de vrais acteurs.
Les jours qui précédaient le spectacle nous répétions avec ferveur les quelques mots que nous devions réciter. Pas besoin de grande mémoire mais il fallait bien respecter les moments de passage.
Parfois, des voisins nous demandaient :
– Tu vas jouer ? 
– Oui !
– Je viendrai te voir.
Ce « Tu vas jouer ? », rendez-vous compte, était de la plus haute importance et nous allait droit au cœur en le faisant palpiter un peu plus, renforçant notre professionnalisme naissant.
Imaginez un gamin sur une scène dominant le public, ça vous tire des émotions !
Ainsi, nous prenions très au sérieux notre vie de comédien nouveau.

Il ne faut pas se méprendre, il faut être franc.
Les rôles principaux étaient tenus par les bons élèves reconnus mais aussi par des pistonnés car certains parents d’un rang plus élevé, savaient se montrer persuasifs auprès des metteurs en scène de fortune. D’ailleurs, ils occupaient toujours le premier rang, le nez presque sur la scène et applaudissaient à tout rompre, montrant du doigt leur progéniture déjà graine d’artiste à leurs yeux.
Rien de bien original, les premiers à la ville étaient les premiers sur les planches.
Les plus en vue, les plus favorisés.
Nos parents déjà bien contents de nous voir figurer un peu, absents le jour de la représentation, se cachaient pour ne gêner personne et jamais, ils n’auraient protesté si nous étions préposés au tirage de rideau ou au brigadier pour frapper les trois coups. Quoique, ce dernier rôle eut été très apprécié, rien que le mot brigadier indiquait déjà bon grade… Et annoncer le début d’une comédie qu’elle grande importance !

Je ne devais pas être un foudre de guerre si j’en juge par ma place sur la scène.
Je me tenais assis dans un coin reculé au fond du plateau en attendant le moment de placer ma vanne censée faire rire toute l’assistance. J’y croyais ferme. Une sorte d’impatience m’habitait durant l’attente, pas question de rater cet instant de gloire. Une mise en lumière de très courte durée, presque un « tout ça pour ça » mais d’importance tout de même, pour le débutant timide que j’étais ! 
C’était bien peu de chose, pourtant, dès la sortie de scène, je m’inquiétais : « L’ai-je bien dit ? »
Tout le monde m’avait déjà oublié !

Mais qu’avais-je donc à déclamer ?
Je ne me souviens plus très bien de ce qui précédait ma réplique, j’étais concentré sur mon noyau, le reste m’importait peu. Une histoire de pêche sans doute croquée goulûment par quelqu’un, je devais lancer à la cantonade : « Mais il reste le noyau ! ».
Le gros bon sens car l’avaler eut été hautement risqué !
Dans la salle en contre bas, les gens ne savaient même pas d’où venait cette réplique tant j’étais planqué tout au fond du décor, ils ont ri, certes brièvement mais l’effet de surprise avait fonctionné.
Je peux vous assurer que ce noyau, je le roulais depuis quelques jours dans ma bouche pour être sûr de ne rien oublier…
Certains, se levant de leur siège pour me voir, cherchaient à savoir qui était cet acteur, en interrogeant : –  Qui est-ce ? ou plutôt, Qui c’est, qui c’est ?
Ouf ! J’avais bien tenu mon rôle et ce soir-là naissait en moi une âme de comédien ! 

Cerise sur le gâteau, c’est ma tante Marie, la sacristine, mon initiatrice au rôle de serveur de messe et avec qui je vivais, qui décrocha la bûche.
Pour ne pas encombrer la salle de sa présence, elle m’attendait à la maison.
Vous imaginez ma joie en arrivant chez elle avec ce bout de tronc fondant, tout en crème et chocolat, rien que pour nous deux !
Nous n’avions pas l’habitude des friandises, je me souviens très bien de son sourire lorsqu’elle m’a vu arriver triomphant comme un bucheron fier de sa journée avec sa petite branche de houx en sucre, posée sur l’écorce du rondin, venue tout droit de la forêt.
Dans nos chaumières, plus habitués à perdre qu’à gagner, pour tante Marie, le clin d’œil tombola était divin, tombait directement du ciel…

Dehors, il faisait froid, un froid de Noël, tante était au coin du feu et parlait aux tisons, peut-être aux étincelles qui s’élevaient dans l’âtre… Elle croyait beaucoup aux signes du feu. Chaque réaction du foyer était immédiatement interprétée. Ses ancêtres communiquaient avec elle, conversaient même, puisqu’elle leur répondait en se signant ou en récitant une prière.

Je ne suis jamais remonté sur les planches, j’ai appris à jouer la comédie sur le plancher des vaches… une scène par jour, au moins, et cela ravit mon parcours de vie que je nomme ma « philisovie ».

C’est en pensant cela que j’ai songé à mélanger récit ordinaire et sketch, une sorte d’humour sous-jacent qui se détecte au deuxième degré…
Une fois de plus, je renaissais, et revenais fraîchement de l’enfance 

Le petit plus qui n’a presque rien à voir.

Renversant.

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