Je n’étais pas bon élève durant le cours élémentaire.
C’était la galère, je ne savais pas lire correctement, j’assurais le minimum syndical pour ne pas sombrer définitivement.
Tous mes enseignants, institutrices en plus grand nombre, ont été très attentifs, très patients, très tolérants aussi avec le médiocre élève que j’étais. Non pas que je fus chahuteur ou dérangeant, bien au contraire un enfant docile et réservé. Personne ne m’a fait comprendre que j’étais mauvais, au point que je me demande, parfois, si je n’ai pas fait un refoulement de la période pour gommer la réalité, pas si nul que cela.
Et bien non, je ne pense pas. Pas de refoulement et encore moins de rejet, mais je m’interroge toujours. Je ne sais pas, je ne sais plus.
Mme Serra en maternelle n’avait pas l’âme d’une « déboulonneuse » de talents. Bien au contraire, par une sorte de magie pédagogique, elle nous faisait croire que nous étions des Picasso avec nos petits dessins archaïques encore moins affirmés que ceux rupestres. Nous chantions, la vie était belle, nous la suivions sur le chemin du plaisir d’apprendre, l’air conquérant, au bonheur de l’école.
Mme Rocca Serra, au CP, m’a toujours fait sentir que j’étais bon élève, gentil et adorable de surcroît. Elle me chouchoutait, m’encourageait, me félicitait, je volais presque sans ailes, j’ai fini par la croire.
Mme Quiliquini, puis Mme de Peretti n’avaient pas la partie facile, je n’ai pas grand souvenir du passage dans leur classe, je m’étais endormi, sans doute.
M. Marcellesi au CM2, c’est de cet homme dont je me souviens le plus. Normal, j’étais plus âgé, il m’a gardé deux ans dans sa classe, pour me renforcer, disait-il à mon père. Vous en saurez plus en lisant mon prochain ouvrage « A l’ombre de l’école ».
Sa réputation d’instit sévère ne m’a point impacté. Je ne m’en suis jamais aperçu tant il s’évertuait à me construire un savoir et un savoir apprendre.
Pourquoi a-t-il usé de patte de velours avec moi ? Jamais il ne me bouscula, jamais il ne me fit comprendre que j’étais un cancre malléable.
Suis-je devenu élève normal à force de me le faire croire ? Je l’ignore et j’en doute.
Outre son travail d’enseignant, il faisait œuvre psychologique en essayant de me débarrasser de ma grande timidité. J’ai compris, bien plus tard, pourquoi j’étais l’estafette de la classe, le préposé au courrier que je devais livrer aux enseignants du premier étage. Je prenais de l’assurance lorsque mission était accomplie. Rendez vous compte de la mission, ridicule pour le commun des mortels, un exploit pour moi.
Le maître avait compris que je devais surmonter ma surdité en rayonnant au lieu de me recroqueviller.
Parvenu au bout de vie, je peux le dire sereinement, il ne me reste plus grands mois à vivre, je me demande encore pourquoi une si grande indulgence à mon égard, une si grande bienveillance.
J’ose croire que ce n’était pas pour mon handicap auditif mais parce qu’ils avaient détecté une petite lumière qu’il fallait maintenir en vie afin que je devienne un jour ampoule éclairée, éclairante peut-être, à défaut de néon multicolore…
A mon sens, la vieille école était bien plus moderne que celle d’aujourd’hui.
Pour la petite histoire :
Lorsque je me suis retrouvé dans l’école de mon enfance, avec des élèves de CE, j’ai collé l’image en titre sur le mur afin que les plus timides se rendent compte de mon état à leur âge, dans la classe de même niveau.
Le maître qui est devant vous, n’était pas un foudre de guerre à l’école primaire, tous les espoirs sont permis. Leur disais-je.
Ils ont beaucoup ri en me découvrant au CE1, certains se touchaient du coude et me désignaient du menton en passant devant l’image lorsqu’il allaient prendre récréation.
Quelle belle aventure !
Certainement qu’ils avaient décelé chez vous la vive intelligence qui ferait de vous un excellent instituteur, quant à l’école elle était plus moderne qu’aujourd’hui et en plus, plus humaine !
Pourtant, je volais bien bas et cela dura…
J’apprenais en silence ou retenais l’essentiel.
Finalement, pour ma vie professionnelle, je fus un parfait autodidacte pour les raisons que vous savez.