Armelle était mon amie d’enfance et de toujours.
Chaque fois que nous nous rencontrions de manière inopinée, ses yeux riaient, c’était un plaisir pour tous les deux.
Combien de fois, tels des Socrates en agora, avons nous refait le monde des idées, inlassablement ? Parfois, je lui disais ce sont les poules qui font les zœufs, pas nous.
Elle souriait et répondait « sans doute ».
Depuis la terminale puis à l’université, elle en philosophie, moi en psychologie, nous entrecroisions les grandes pensées d’ici-bas.
Te souviens-tu de Nietzsche ?
Sur la quatrième de couverture d’Ainsi parlait Zarathoustra, l’aphorisme suivant :
« On peut mourir d’être immortel » ?
Tu commentais, je commentais à ma manière, même un prof spécialiste de Nietzsche n’a jamais su me dire, en mots simples et clairs, quelle était la pensée de l’auteur.
Te souviens-tu de l’idée de Dieu ?
« Si les triangles faisaient un dieu ils lui donneraient trois côtés », Montesquieu.
J’ajoutais, et il serait équilatéral.
Et Jaspers, ce philosophe allemand ?
« Quand je parle de dieu ce n’est pas de dieu que je parle » puis, « un dieu prouvé ne serait pas dieu ».
Jean Rostand, ah Jean Rostand :
» Lorsqu’on tue un homme on est un assassin, lorsqu’on en tue des milliers on est un conquérant, lorsqu’on les tue tous, on est dieu ! »
C’est fou, ce que nous pouvions ressasser, laver, lessiver puis essorer la pensée humaine.
Nous n’étions pas dupes, c’était pour le fun, surtout, pas pour atteindre des vérités.
Nous gardions notre esprit open, ouvert et non embrigadé en quelconque croyance.
Nous disions, redisions, rebondissions et tu aimais la justesse du vocabulaire.
Les mots ont un sens, une odeur, un arôme particulier qu’on ne saurait mêler à d’autres. Le mot visait juste, tu m’en faisais parfois élégance, en disant que les miens étaient du coffret.
Je souriais mais j’étais fier d’être compris car rien ne t’échappait, tu m’avais même traité d’artiste.
Moi, artiste qui l’eut cru, sinon toi ?
Et puis finalement, j’ai bien réfléchi, plus le temps passe et plus le cartésien que j’étais comprend qu’il est devenu poète sans le savoir. Tu avais vu juste.
Armelle était mon amie et pourtant nos rencontres furent rares.
Rares mais fécondes. Son œil malicieux m’engageait à élever le dire et le savoir.
Un esprit s’en est allé dans les étoiles.
Là-bas, Kant, Spinoza, Schopenhauer, Platon l’ancien et son mythe de la caverne, élèveront la pensée avec elle.
Peut-être aussi, Gaston Bachelard, mon préféré, lui soufflera :
– Tu as des nouvelles de mon ami Simon ?
Combien de fois n’a-t-il cité mon aphorisme, ce Simonu ?
» L’esprit scientifique doit se former contre ce qui est en nous et hors de nous l’impulsion et l’instruction de la nature » (Je vous épargne l’explication, ce serait trop long et fastidieux)
Armelle était ainsi à mes yeux et à mon esprit, c’est pour cette raison que j’ai voulu faire les Zœufs !
Tu es partie mais ton esprit rôdera encore longtemps dans les rues de notre village.
Ça tombe bien, sur l’image en titre, Armelle est entre deux nuages…
Très bel hommage…
Bonsoir Al !