Paula, a Ripublica.

Paula dite « A Ripublica » était une femme sèche dans son physique comme dans ses interventions. C’était le genre de personne redoutable à vous dire vos quatre vérités ou plutôt les siennes, droit dans les yeux.
Je l’ai rarement vue en joie avec quelqu’un, toujours en colère contre le monde entier.
L’irascibilité faite femme sans l’ombre d’un doute.
Peut-être n’était-ce qu’une impression d’enfant.
En tous cas, nous la redoutions, nous nous tenions à carreau en la croisant pour ne pas réveiller sa mauvaise humeur.
J’avais bonne réputation. On disait que j’étais un gentil garçon, poli et bien intentionné. Je n’avais donc pas de souci à me faire lorsque je la rencontrais. Je parvenais sans rien dire ni sans rien faire, à lui décrocher un sourire. Un exploit.

A cause d’un problème d’oreille interne, je n’avais pas trop le sens de l’équilibre.
Dès qu’il commençait à faire nuit, c’est toujours le cas, je ne savais plus marcher sans claudiquer. Sans « sgambader », je titube automatiquement du côté droit. Cela m’a valu pas mal de déboires lors de mon service militaire, incapable de marcher au pas sans sortir du rang… Une histoire que j’ai narrée dans le détail dans « Quand la grande muette fait la sourde oreille ».
Comme les copains, j’essayais d’apprendre le vélo avec moult difficultés à cause de mon côté bancal.
Je m’entrainais à Ciniccia sur la piste hippique en me lançant dans la partie descendante pour prendre de la vitesse, profitant de l’énergie cinétique pour relancer le vélo dans la partie plate..
Je savais que pour filer droit à vélo, il fallait prendre de la vitesse.
On m’avait prêté une bicyclette sans freins et sans pédales. Le freinage se faisait sur la roue arrière avec la semelle de la chaussure. Je m’étais placé en haut de la descente de la Navaggia entre le presbytère et l’ancienne gendarmerie prêt à dévaler la pente en libérant l’énergie potentielle. Jusqu’au virage de Pilili, j’ai filé sans problème, la pente est de bon pourcentage. C’était un pari fou car j’aurais pu facilement passer de vie à trépas en rencontrant un mur ou en culbutant dans un ravin.
Après le virage de Pilili, la route devenait plate progressivement, je n’étais plus mû que par l’énergie cinétique qui ralentissait la vitesse me plongeant aussitôt face à mon problème d’équilibre. Paula se trouvait au milieu de la route un peu plus loin, je fonçais sur elle.

Remontant tranquillement de la basse Navaggia, surprise, elle se sentait visée.
Elle se déporta sur le côté du chemin, je suivais son mouvement. Elle changea de côté, je ne commandais plus rien, comme attiré par un aimant me dirigeant encore vers elle. Cette manœuvre involontaire donnait l’impression que je visais sa personne. La redoutable dame s’était muée en force d’attraction. J’ai frôlé son tablier, l’évitant de justesse et j’ai percuté le mur me râpant la main contre une pierre. Je n’ai pas temporisé une seconde, lâchant le vélo sur place, j’ai pris la poudre d’escampette vers ma maison. Elle n’a pas tardé à me retrouver, pénétrant dans notre demeure sans frapper et sans y être invitée… très menaçante. Elle ne craignait personne.
J’ai réussi à lui expliquer, tant bien que mal, que ce n’était pas volontaire, que j’étais emporté par l’affolement sans chercher de contact.
Ma réputation a joué en ma faveur… elle a fini par me croire.
Depuis, ce jour, je la saluais et échangeais quelques mots avec elle. C’était une belle manière de rompre le mythe de la sorcière. J’ai découvert une dame adorable et j’ai bien compris ce jour-là, que rien ne valait le dialogue.
Penser à la place des autres et faire des supputations, c’est souvent filer dans le mur avec un vélo sans pédales et sans freins.

En activant tous ces miroirs du temps que sont les vieilles photos, j’ai l’impression d’avoir vécu plusieurs vies. Je suis surpris de me souvenir de tant de choses.
De surcroît, je ne raconte que ce qui est racontable, vous imaginez que je peux facilement doubler la mise. Je me demande ce qu’il me reste encore à vivre ou à découvrir.
Cela ne m’inquiète pas, j’ai encore plein d’espoir…

Le petit plus :

2 Comments

  1. En dehors de la belle histoire de vos relations avec cette Paula au coeur finalement tendre, je me dis pauvre gamin avec son vélo sans frein et sans pédale, qui était heureux quand même…

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