Le Rungis de la coloscopie ou L’annus horribilis.

Sans doute serez-vous surpris de lire un tel article dans ce blog. Il s’agit d’un papier que j’ai tenté de faire publier dans la presse. Il est resté lettre morte.

C’était il y a douze ans et les signes de catastrophe avancée existaient déjà.
Pourtant, la médecine pratiquait encore force fibroscopies, maintes gastroscopies et moult coloscopies pour objectiver un mal abdominal. On explorait les entrailles sans compter…

Jules Verne nous a fait voyager au centre de la Terre, l’endoscopie médicale, plus précisément gastroscopie et coloscopie font voyager au tréfonds de nos entrailles pour débusquer polypes, ulcères… et autres « Helicobacter pilori » par prélèvement ciblé. Un acte hautement louable dans les divers dépistages des vilaines maladies. Quelques vies sont sauvées.

Comme j’habitais à plus de 100 km du lieu de prospection des catacombes viscérales, on m’avait réservé une chambre sur place. Nous étions deux dans la même pièce. Mon colocataire d’un soir était en phase terminale, atteint d’un mal incurable. Je n’avais pas anticipé l’horribilis nuit.
Dès que j’ai commencé à boire l’infâme purge destinée à nettoyer le tube digestif de fond en comble, on aurait que j’étais préposé aux cuivres dans un orchestre en buvant à larges gorgées comme si je jouais de la trompette, l’effet fut très rapide. Il fallait filer aux toilettes pour vidanger à grands fracas avec une puissance de karcher. La première fois, je suis arrivé à temps sur le trône tout proche.
La deuxième fois, l’endroit était occupé par l’homme en grande souffrance, je tournais autour du lit ne sachant où j’allais vidanger. Une infirmière appelée en renfort m’informa qu’il n’y avait pas d’autre endroit. J’ai vécu l’enfer d’autant que mon voisin en mettait partout, j’étais obligé d’y aller quand même. J’ai dû jongler avec les coups de trompette et les vidanges.
Quand tard dans la nuit, j’eus avalé toute la purge et que les bourrasques, trombes et tornades se sont calmées, j’ai pu trouver le sommeil.
Au petit matin, on m’indiqua la douche éloignée de ma chambre, il n’y avait pas de bus…

Une fois lavé, je me suis trouvé en position de patient, promené, allongé sur un brancard dans un hall puis une grande salle, il m’arrivait de croiser un visage connu :
– Oh ! Mi ! Que fais-tu là ?
– Et toi ?
– Ah ! Comme toi, j’attends mon tour !
L’étonnement était grand, on ne s’attendait pas à rencontrer tant de monde dans cet endroit-ci.
Beaucoup d’inconnus et même des amis…
Ainsi étalé, j’avançais peu. Un embouteillage sur l’autoroute qui mène à l’endoscopie, un désordre organisé, un chassé-croisé parmi cette bidoche qui circulait comme au pavillon de Rungis.
Rungis, un endroit que j’avais visité en compagnie d’un boucher, j’ai failli recevoir une carcasse de veau en pleine tronche. Mieux vaut ne pas être distrait en ce lieu où les pièces pendues à des rails circulent à hauteur de visage sans crier gare.
Au bout du voyage, l’infirmière de service se montra sympa et rassurante. L’anesthésiste aussi. Il y alla de son sourire attendrissant :
– Vous êtes prêt pour le voyage ?

A moitié ensuqué, je ne comprenais pas tout, je souriais et voyageais encore.
– Bientôt ce sera votre tour…
Je ne pensais pas que nous serions si nombreux, je m’attendais à deux ou trois personnes mais pas plus, or le hall était quai de gare, on avait regroupé les patients pour rentabiliser l’affaire comme pour une campagne de vaccination.
– Un, deux, trois… à tout de suite ! » .
Et le rêve se déclencha, j’étais un oiseaux qui faisait des allées et venues entre mangrove et canopée pendant qu’un œil éclairé et averti m’inspectait le colon descendant en le remontant, le transverse en sens inverse et l’ascendant en le descendant, bref, j’étais visité de fond en comble en cachette. On pouvait imaginer une inspection sur l’air d’une chanson de Fernandel :

Si elle était entrée en clinique
Pour soigner ses coliques
On l’aurait troussée ainsi
Félicie aussi !

Déjà ! C’est fini ? J’eus l’impression que le voyage fut de courte durée.

Quelques heures plus tard, comme une improbable coïncidence, je suis tombé sur un article qui interpelle.
Comment font-ils pour désinfecter toutes ces fibres qui voyagent d’un patient à l’autre ?
Sont-elles gainées et change-t-on la gaine à chaque fois ?
S’agit-il de fibres à usage unique ? Ce serait étonnant, surtout par les temps économiques qui courent. Donnent-ils un simple coup de lingette désinfectante avant de passer au suivant ?

Eh bien, l’article révélait que chaque année, 30 000 patients sortiraient de l’hôpital, atteints par une contamination. L’entretien des sondes laisserait à désirer, parfois mal désinfectées. Je passe sur les différents taux de contamination de toute nature car aucune source officielle n’était citée. Ces révélations du Canard Enchaîné étaient relayées par le Huffington Post.
L’information restait obscure comme les dédales de l’endroit exploré.

La Direction Générale de la Santé alertée : une réunion semblait imminente…
Vous avez entendu quelque chose, vous, depuis ces douze années passées ?
Rien !
Félicie aussi !

En effet, vu la concentration des visités ce jour-là, il doit bien y avoir quelques bavures et le sujet mérite d’être sérieusement analysé en haut lieu.

Heureusement, nombreux sont ceux qui ne regrettent pas le voyage au fond de leurs entrailles pour l’avoir échappé belle. Pour eux la balance risques/bénéfices aura penché du bon côté : ils n’ont pas été visités pour rien.

Ces endroits obscurs ont droit à l’éclairage et nous à toute la lumière.
Pour l’heure, cette dernière est encore en veilleuse.
Ces grands meetings des viscères sont-ils en sourdine ?
Je l’ignore.

Allez bonne colo à tous…
Mais non, pas colonie de vacances !
Ce n’est qu’une petite bafouille, you kaïdi aïdi aïda !

Ah ! Ça te fait rire ?

4 Comments

  1. Quand on pense que cela existe encore alors qu’il existe d’autres moyens…
    La presse a eu tort de vous refuser car c’est écrit avec humour et vivacité 🙂

  2. 😆relever le défi de mettre au grand jour quelques sondes mal désinfectés , après avoir passé autant de temps à l’ombre , n’était pas mince affaire dans le temps .
    Ça partait d’une bonne intention avec beaucoup d’humour , c’est bien dommage.
    Bonne soirée 😊

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *