Le scion, le surgeon ou le sauvageon que je fus au fond de la Navaggia me souffle ces mots dans les branches de mon sassafras…
Vieillir est-ce vraiment retourner régulièrement en enfance pour le plaisir ou se replonger profondément dans le passé comme un serpent qui se mordrait la queue croyant boucler la boucle symbolique d’une vie, sans y parvenir ?
Je finis par me le demander. A chaque coin de rue ou de jardin, je vole instantanément vers des images d’un autre temps, vers des souvenirs anciens.
Il me plait de « jouer » sur tous les tableaux. Un plaisir bien plus que le comportement d’un être vieillissant.
Cela fait « concomiter » temps nouveau et temps ancien comme si ce dernier assurait une permanence de l’esprit, docile et perméable à ce genre de perpétuation.
Il m’arrive de penser, contrairement à ceux qui rabrouent ce qu’ils nomment passéisme, que cette passerelle constante entre l’hier et l’aujourd’hui, l’ici et l’ailleurs, convient parfaitement à mon état d’esprit, sans être l’esclave d’une sombre nostalgie abêtissante ou « gagaïssante ».
Comme un bijou que l’on garde secret pour l’admirer à tout moment choisi, j’ai l’impression de passer dans le temps et non voir passer le temps. Je me promène sur une latitude qui perdure et m’enchante sans avoir le sentiment de faire marche arrière constamment.
Pour aller de l’avant, je regarde le passé, c’est lui qui me donne l’illusion ou la réalité d’avancer comme un repère qui permet de faire le point, d’apprécier l’actualité en la mettant en perspective avec le dépassé, plutôt avec le déjà passé. Cette fabuleuse faculté de la mémoire à perpétuer le souvenir est évidemment incontournable pour mieux me transporter dans le temps.
Sans le souvenir, point de repère et donc point de saveur actuelle pour moi.
Je garde, en secret, la mémoire des éléments nécessaires à la comparaison et cultive perpétuellement mon goût des contrastes.
A chacun ses sensations, ses états d’âmes, ses envies, les forces incontrôlables de sa nature profonde.
Je ne juge que rarement mais cela m’arrive aussi.
Rien ne m’influence vraiment pour changer de cap, le mien me convient parfaitement, en toute conscience. De la sorte, je cultive plus que je ne subis, comme un artiste qui façonne, peaufine son art, j’invente ma vie à partir de la constante qui caractérise mon être profond. Ma patte, ma griffe de velours.
Lorsque je suis passé devant cette voûte – photo en titre – entièrement garnie de polypode avec, sur sa gauche une boîte à lettres carrément anachronique dans un décor ancien, j’ai tout de suite songé à une chapelle.
Une chapelle fleurie pour célébrer un saint imaginaire qui passait en procession ce jour-là.
Alors, plutôt que donner l’idée d’un temps révolu, je propose l’image de la permanence du temps, en faisant appel à l’onirisme intemporel.
J’imaginais un endroit fleuri comme les différentes chapelles montées naguère dans les quartiers pour accueillir Saint Antoine en vadrouille sur les épaules solides de croyants masculins. Toutes étaient superbes et fortement embaumées du sublime parfum du lis blanc ou des subtils effluves des roses « Cuisse de Nymphe émue » qui entêtent aussi.
Sur la gauche, la boîte aux lettres fait office de tronc pour les offrandes du jour. Sur la droite, la porte de la sacristie est fermée en attendant le retour des processionnaires. Jolie atmosphère qui me rappelle que des hommes chantaient pour d’autres hommes en croyant louer un saint ou le divin.
L’image ainsi customisée d’irréel me semblait permanence, unité du temps.
Si le côté religieux a frappé mon esprit plus qu’une autre vision, en visitant ce lieu pour en tirer quelques clichés, c’est en référence à mon enfance passée dans l’église de mon village. Une dévotion puérile que j’ai quittée depuis longtemps sans renier l’être que je fus. Un état continu, un dépassement plus qu’une mutation dans ma ligne de vie.
Comment expliquer autrement mon être actuel sans y faire référence ?
C’est en ayant été cet enfant de cœur que je suis devenu homme de réflexion, homme détaché et de recul, que les choses ont changé, que s’explique ma nouvelle manière de vivre, de comprendre et d’appréhender l’actuel.
Un agnostique grâce à Dieu.
J’adore me rouler dans le temps, tout le temps…
Passé, présent et futur sont un même chemin qui se définit par l’omniprésence de chaque degré pour mieux donner l’illusion que c’est le temps qui passe.
C’est moi qui passe et personne n’y comprend rien…
Qu’en restera-t-il le jour de ma rencontre avec celui qui chipe les souvenirs et fait oublier la vie ?
L’effacement du temps, l’oubli de son existence qui fait les morts vivants.
Celui qui est encore présent physiquement, qui existe pour les autres mais plus pour lui, c’est à dire un être qui a perdu la conscience de son existence.
Ce dénommé Alzheimer, pfff ! Au diable, voleur du temps !
Le petit plus du jour :
Beau texte.
Les zhiboux en vadrouille avec saint Antoine, pourquoi pas ? 😉
🙂