Souvenir.
Si tu ne vas à la nature, la nature viendra à toi.
Hier, en fin de journée, entre chien et loup, j’allais fermer le poulailler lorsque juste devant mon pied, j’ai vu sauter quelque chose. J’ai pensé à une sauterelle planquée là pour passer la nuit.
En regardant de plus près, j’ai vu que c’était une petite grenouille.
Une grenouille de l’année, échappée du bassin désormais vide qui grouillait de têtards, il n’y a pas si longtemps. Une réserve d’eau très fréquentée par les batraciens si j’en juge par les concerts sous les étoiles…
J’ai eu le temps d’aller chercher un appareil photo, j’avais l’impression qu’elle m’attendait.
Il a fait très chaud dans la journée et sa peau semblait farineuse, sèche. Seuls ses yeux globuleux paraissaient en éveil, bien vivants.


Que faire ? Pas un endroit humide dans les environs. Sans doute s’apprêtait-elle à voyager dans la nuit pour rejoindre un endroit plus favorable, un ru coule en contre-bas.
Le temps d’aller poser mon appareil et elle avait disparu. Je n’ai plus rien vu en prospectant aux alentours.
J’ai levé les yeux au ciel, quelques étoiles s’étaient allumées, une fraîcheur semblait monter de la vallée, j’étais une grenouille.
Quelques petits sauts et me voilà anoure des champs partie vers l’appel de l’eau.
Le hérisson déjà en vadrouille a failli m’embrocher au passage, la tortue farfouillait dans les herbes sèches, le geai dégourdissait ses ailes dans un bruit sourd sur les branches basses d’un chêne. Un air frais d’éventail providentiel parvint jusqu’à moi.
Le parcours me semblait interminable et semé d’embuches. Chaque passage de buisson était un danger…
Tiens un mulot en vadrouille, il est passé comme une flèche, peut-être a-t-il ses habitudes ? Un scarabée a atterri sur le dos juste sous mon nez, il pédale dans l’air…
La nuit s’installe progressivement, la lune éclaire faiblement, il faut que je m’habitue à cette luminosité encore hésitante et blafarde.
Mon instinct de batracien me guide, je sens la fraîcheur humide qui monte de la vallée. On dirait que le ru n’est plus bien loin.
Quelques sauts encore, puis gloup ! gloup ! gloup ! j’entends le « glougloupement » timide, à peine perceptible, de l’onde. Une musiquette douce se fait clapotis. L’air est chargé d’humidité, je sens la rivière toute proche. Je me dresse sur mes pattes antérieures, mes sacs vocaux se gonflent instinctivement comme si je fourbissais mes cordes vocales pour entonner une chanson.
Tiens ! Ça doit être ça l’appel du ruisseau pour une grenouille.
Une envie soudaine de coasser sans m’y être préparée, m’assaille.
De l’autre côté de l’onde à portée de saut, s’élèvent quelques notes qui me sont familières. Un chant se prépare, on chauffe les voix, on prépare la chorale.
On dirait les vocalises des copines qui habitaient le même bassin que moi, là-haut.
Oui, c’est ça, je reconnais Glugandine la rockeuse et puis le vibrato de Flopangelle… le timbre de Clairénette aussi…
Ah tiens ! Grossophon le mâle au son grave et puissant, oui, oui, on dirait que c’est lui…
C’est bien ça, ils sont tous là !
Soudain, je globule mon œil droit et je vois la lune qui se mire dans le ruisseau, le ressort se déclenche automatiquement et Flop ! Me voilà poussant avec mes palmes. En quelques coups de rames, j’atteins la rive opposée.
Toute la chorale est là. Glossophon est à la baguette, un, deux, trois et le concert démarre.
Je suis épuisée mais la joie des retrouvailles l’emporte, je me mets à coasser avec la compagnie, la voix cristalline malgré la fatigue.
Au fait, savez-vous comment on m’appelle ?
Cristillante ! Pour mon timbre pointu et mes yeux qui pétillent.
On dirait que le bassin de Simonu est à la fête ce soir !
Non, nous sommes au bord du ru, à la belle étoile, le chant n’en est que plus joyeux.
Brou… brou… j’ai secoué la tête pour sortir de mon rêve.
J’ai esquissé un sourire, la nuit s’était installée, j’imaginais que ma grenouille avait retrouvé ses copines…




Savoureuse histoire, j’adore 🙂
Je me suis abandonné et j’étais une grenouille 😉
Bonne soirée AL.