Dumènicu di Granace.

Réécriture pour une traduction en corse.

C’est une histoire simple, banale sans doute, mais une histoire qui fait du bien.
J’ai connu Dumènicu à la pétanque, un jeu qui regorge d’anecdotes, d’expériences humaines, aussi.

Dominique de Granace était un p’tit gars de la marine marchande à la retraite.
Il s’était retiré dans son village natal où presque tout le monde porte le même patronyme.
Un petit bonhomme légèrement enveloppé par le bonheur de vivre et toujours souriant.
Un gaucher au tir redoutable lorsqu’il était encore en possession de tous ses moyens.
En vieillissant, il participait aux concours de boules dans les villages proches du sien, juste pour entretenir l’amitié.
C’était toujours à l’occasion de ces concours estivaux que nous faisions des rencontres, parfois des amitiés naissaient lorsque le sort nous désignait pour en découdre boules en mains.  Nous apprenions à nous connaitre au cours du jeu, un temps largement suffisant pour apprécier ou non quelques qualités humaines. C’est plus simple qu’on ne le croit.
Oh ! Il y a toujours un rabat-joie dans le lot, un hurluberlu que l’on nomme « un catalogue » chez nous. Quelqu’un qui se distingue par sa mauvaise humeur ou son côté dérangeant.
Dominique était l’exact contraire, aux antipodes de ces gens-là.

Une année, nous avions débarqué en nombre dans son village pour participer au concours de Granace. La promotion fut bien menée de sorte que les équipes avaient afflué de l’Alta Rocca, du sartenais, de la région de Porto Vecchio, même Ajaccio était représenté.

Dans ces gros bourgs, il n’y a pas de restauration, soit on porte sa gamelle, soit les locaux organisent un repas froid ou alors, entre midi et 14 h, les joueurs encore qualifiés filent vers le village le plus proche pour se sustenter…

Dominique semblait prospecter aux alentours de midi. Il virait, visitait les différentes places et placettes où se déroulaient les parties afin de repérer les personnes qui se questionnaient pour savoir comment se restaurer.
Nous étions six de Lévie, il nous désigna :
–  Allez ! Hop ! Chez moi ! J’ai tout préparé ! 

Il habitait une jolie maison à l’ancienne, en pierres de taille dont les fentes arboraient des polypodes pour afficher son grand âge. Une demeure assaillie par des rosiers grimpants et la vigne vierge.
L’endroit à l’ombre d’une treille, au raisin bien prometteur, était reposant, sans doute une annexe de l’Eden qu’un Dieu bienveillant avait posée sur terre..
La table était dressée dans son jardin très ombragé, juste face à un four à bois également habillé de pierres sèches. Après quelques pastis, toujours trop nombreux en de pareilles circonstances, l’ambiance était montée crescendo et la joie allait bon train. Nous étions tous capitaines de marine en compagnie d’un amiral, déjà bien épanouis et plus mûrs que pommes et poires sous les arbres fruitiers.
Il nous servit d’abord une assiette de charcuterie suivie d’une abondante salade de tomates du jardin, agrémentée de cercles d’oignons rouges nustrali, d’olives noires, d’anchois et d’œufs durs, le tout béni à l’huile d’olive artisanale. Puis vinrent les grillades au feu de bois, une ratatouille, du fromage et des fruits, le tout abondamment arrosé de vin rouge du Valinco.
De la sorte, une sieste s’imposait bien plus que la reprise des parties de boules.

Souvent, ces concours étaient prétextes à retrouvailles et ripailles qui entretiennent l’amitié. Sauf, bien entendu, pour les chasseurs de primes qui s’équipaient sérieusement en tireurs venus du continent, visant la victoire finale. Nous étions les porteurs de mises pour les amateurs de pépettes et de médailles…

L’année suivante, je lui rendais la pareille en compagnie de ses coéquipiers. Le moment fut tout aussi sympathique et apprécié, d’autant que j’ai procédé comme lui, par surprise. Ne prenant pas part au concours, je les ai prévenus au dernier moment.
Je venais de planter des figuiers dans mon jardin et nous en parlions à table. Il me fit la promesse de me porter des figues si j’étais présent au concours de Zonza un mois plus tard.
Nous étions en septembre, de bon matin posté au rond-point du village montagnard, il guettait ma venue. Il m’a conduit jusqu’à sa voiture pour m’offrir « una sporta pièna di fica ».
L’homme était de parole et content de voir à quel point cela me faisait plaisir. 
Una sporta c’est tout un symbole, ce n’est pas un vulgaire sachet ou sac en plastique, on ne sort pas du supermarché , on vient tout droit du jardin pour faire une offrande.

Mais pourquoi raconter des histoires aussi banales ?
Tout simplement parce que ce n’est plus une banalité aujourd’hui. Cette convivialité n’existe plus et ces moments se font rares.
Les concours estivaux de villages étaient rendez-vous de l’amitié.
Chaque année nous nous demandions si nous allions retrouver tout le monde, le doute était permis sur certains anciens que nous n’avions pas jugés en bonne forme l’année précédente. Si l’un d’eux manquait à l’appel, nous nous informions auprès d’autres boulistes pour nous assurer que son absence n’était que fortuite.

Une année Dominique n’a participé à aucun tournoi de pétanque. Il avait eu de sérieux ennuis de santé qui allaient l’emporter dans l’autre pays où les boules s’entrechoquent sans faire de bruit.
Il dort à l’ombre de ses figuiers, non loin de son four à bois. Il était devenu l’ami que l’on avait plaisir à retrouver. C’était un homme simple rempli de bonté ordinaire et dont le sourire trahissait le penchant pour les choses paisibles et le partage dans la bonne humeur.

On n’oublie jamais ces amis-là.

Une belle brochette au groupe scolaire de Levie, années 60.
Je n’ai aucune image de notre sympathique Dumènicu.

2 Comments

  1. Eh oui, nous sommes arrivés au point que les choses les plus banales autrefois deviennent des pièces de patrimoine…
    Beau récit, truculent et coloré, il aura du succès en langue Corse 🙂

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