La gamme des téléphones portables est très vaste. Il y a de quoi y perdre son latin pour faire un choix.
Du simple appareil de communication à distance jusqu’à l’ordinateur doublé d’un appareil photo, qui n’a plus rien à envier au réflex, le choix est devenu casse tête pour les accros « aïe phonistes ».
Les utilisateurs sont tellement admiratifs de la qualité de leurs images, qu’ils s’extasient devant leurs œuvres en criant à qui veut entendre : « C’est sans retouche, ni trucage, coco ! ». Ils oublient que les retouches et les trucages sont pris en compte par l’appareil programmé pour améliorer les photos.
C’est le progrès, on n’y échappe pas.
Ces merveilles du dernier cri sont des voleurs de temps et de distance. L’ailleurs et le plus tard sont transposés dans l’ici et maintenant par un simple coup de fil.
Dire encore « Coup de fil » est tombé en désuétude, cela reste une image. Dans la seconde, nous sommes informés de ce qui se trame loin de nous, plus aucune information n’est différée. Tout va très vite de sorte qu’une nouvelle en chassant une autre avec la plus grande célérité, nous n’avons plus le temps de filtrer. Alors, on survole puis on zappe pour passer à autre chose. Très vite, car les moindres petits faits, que nous n’aurions dû connaître de si tôt ou même pas du tout, ont déjà chassé l’info toute chaude qui vient de s’envoler.
Véritables confessionnaux portables et miniaturisés, les « phones » rendent beaucoup de services aux plus angoissés, aux plus pressés de faire savoir leurs bobos et leurs malaises de l’instant. De nombreuses oreilles doivent siffler dans l’intimité d’une conversation à distance et moult personnes sont loin de s’imaginer à quel point elles ont été tabassées en paroles secrètes. La médisance a toujours existé mais là l’occasion est trop belle pour la cultiver… Ce chronophage devenu incontournable a le pouvoir de rendre aveugle aussi. On se transpose face à l’interlocuteur lointain de sorte qu’on ne voit plus les proches à portée de nez. La communication est inexistante ou coupée avec ceux qui déjeunent avec vous autour de la table.
Certes, l’appareil a ses avantages, c’est le but recherché, je ne m’intéresse qu’aux effets pervers.
Ai-je échappé à l’aïe phone ? Avec mon mode de vie rustique, parfois archaïque dans l’isolement d’un autre temps, je n’ai pas de téléphone portable, le fixe ne sonne plus puisque je lui ai coupé la chique. Ainsi, les nouvelles sont toujours nouvelles, je ne subis aucun bombardement intempestif.
Figurez-vous que j’ai possédé, un temps, un téléphone portable. Il me ressemblait beaucoup puisqu’il était rudimentaire aussi bien dans l’apparence comme dans l’utilisation que j’en faisais. Un truc mastoc, plutôt épais et qui fonctionnait à carte prépayée. Je le transportais surtout lorsque j’allais à la pêche. Cela rassurait mon monde de savoir qu’on pouvait me localiser si nécessaire, j’étais plutôt d’accord. Le maquis a ses travers aussi, cette fonction de l’appareil me convenait parfaitement, c’était le vrai progrès pour moi à condition de ne pas me trouver en zone blanche
Je vais vous raconter une anecdote. Un jour je suis allé au village avec mon appareil dans la poche. J’avais rencontré un villageois et je discutais avec lui depuis un bon moment. Comme on me voit peu souvent, on a beaucoup de choses à se dire. A un moment précis, mon interlocuteur me demande : « Tu as un téléphone portable ? ». Sans hésiter, j’ai répondu par l’affirmative en ajoutant : « Tu veux appeler quelqu’un ? Je te le passe ! ». « Non, me répondit-il, ça fait un moment qu’il sonne, c’est pour ça ! ».
Ce jour-là, je me suis aperçu que je n’étais pas fait pour avoir un téléphone sur moi. Le « coup » du jour était presque un acte manqué. Puisque peu me chaut d’en posséder un, pourquoi l’avoir sur moi. Je me suis débarrassé de mon truc encombrant, il dort dans le coin d’une armoire, par négligence.
Il repose depuis une quinzaine d’année. Vous imaginez facilement que personne ne veut de ce vieux machin d’un autre temps. Aujourd’hui, ils sont extra plats, remplis de trucs rigolos et vous conduisent partout dans le monde sur simple commande. En quelques secondes votre visage s’illumine, vous êtes en communication avec le paradis et vos pouces habitués à jouer du clavier s’en donnent à doigts joie. Il va falloir que je me sépare définitivement de mon antiquité plutôt que la couver aux oubliettes comme une relique sacrée… Je préfère mon compact photographique de poche, il me donne plus de satisfactions, plus de plaisir.
Après ce presque réquisitoire, n’allez pas croire que je condamne férocement le progrès. Je n’oublie pas que je suis un simple spectateur qui aime bien regarder de loin, mais en aucun cas, je ne suis une référence. Peu importent mes états d’âme, j’en conviens.
– Allo ! Ah, c’est toi ! Tu m’as appelé ?
– Non, non, il était dans ma poche, il a dû t’appeler tout seul. Il devait penser que je t’avais oublié ou que c’était le bon moment, ces trucs sont plus forts que nous.
– Il a bien fait ! Alors, quoi de neuf ?
– Tu sais… Tu sais… Allo, allo ! Merde ! Pardon ça m’a échappé ! Plus de réseau ! Finalement c’est con ces trucs là !
Il (ou elle) allait bientôt tout savoir. Rigoler un bon coup, condamner sérieusement, sermonner sur le champ ou se contrarier pour la journée.
– Allo ! Mais allo quoi ! Tu m’entends ? Tu m’entends ? Tu as du réseau ? C’est quoi ce truc qui t’abandonne au moment où tu allais savoir la vérité ?
J’approuve entièrement ! Quelle tristesse quand je passe devant les restaurants ou des gens se sont réunis non pas pour partager un bon moment ensembles mais pour chacun de leur côté rester scotché sur son téléphone …
🙂