Orthograve ?

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La passion c’est compliqué. Voyez ces fleurs de passiflore (passion)… allez trouver la règle…
Mais qu’est-ce qu’il me prend aujourd’hui ? Cela fait bien longtemps que j’ai quitté l’école. C’était mon métier d’apprendre les rudiments de l’orthographe aux enfants en lutte avec les premiers apprentissages de la lecture et de l’écrit personnel. Je parle des enfants qui ne suivent pas dans leur classe.
Ce sont des choses qui remontent à la surface à la moindre alerte même subliminale. J’entendais parler de réforme… Faites ce que vous voulez, le grand balancier de l’Ecole va et vient et toujours revient pour rien. Alors, on recommence ?
Je suis très bien placé pour en parler. J’ai été un des plus grands ferrailleurs contre les mots. Très longtemps, vous ne me croirez pas si je vous dis, jusqu’à plus de vingt ans. Un grand traumatisé de l’orthographe dans le sens d’estropié plus que touché psychologiquement. Mes dictées de primaire comme du cours complémentaire étaient des désastres. On ne comptait même plus les fautes, le texte dicté n’était plus que désolation sur ma page. Un paysage lunaire où très peu de mots poussaient en pleine santé. Parfois, il manquait la moitié du texte, pris de vitesse par celui qui dictait. Le temps de réfléchir à la morphologie du vocable et le semeur de phrases était déjà au bout du champ. Alors, je le laissais semer au vent. Je m’étais fait une raison. C’était comme ça.
Je savais d’où venait mon infirmité pour la rectitude des mots. Une vieille histoire, ceux qui me suivent depuis longtemps savent que j’avais perdu une partie de l’audition causée par des médicaments ototoxiques. Voyez, déjà, ce mot est beau et parle de lui-même, je n’étais pas autotoxique, heureusement. Ototoxique, qui s’attaque au nerf auditif, à l’oreille, vous voyez otorhinolaryngologiste… spécialiste de la sphère oreille, nez, gorge. Après cela, allez dire que les mots correctement écrits ce n’est que science des ânes.
Mon canal auditif devenu défaillant m’a joué plus d’un tour. Je l’ai écrit dans des textes précédents intitulés « L’oreille de toute une vie ».
Ce que j’entendais était déformé et prenait du temps pour trouver sa vraie forme. Il fallait un temps de latence pour tout. Un retard à chaque fois. Des retards qui s’additionnaient pour me larguer. Je remontais la pente tout seul en remettant les choses en perspective, en jouant sur les contextes… des remises en place perpétuelles et toujours différées. Que de luttes ! Lorsqu’un enfant ordinaire sait lire vers sept ans, il m’en a fallu douze et plus de vingt pour dompter l’orthographe. Un jour vous saurez tout, ce n’est pas encore le moment, et vous tomberez des nues, vous aurez du mal à me croire. Ma vie fut drue, je m’en étonne aujourd’hui et vous ne connaissez pas les frasques… Que la face agréable des choses.
Tombé du ciel, un vieux dictionnaire du début du vingtième siècle–je l’ai écrit cent fois- offert en cachette par Denise, a été mon trésor caché sous le lit que je retrouvais tous les soirs…
Le jeune handicapé scolaire, non pas sur le pouvoir apprendre mais sur l’essentiel, s’est retrouvé par le plus grand des miracles dans son rêve de toujours : enseigner.
Un beau parcours qui m’a rendu heureux.
Comme un vieux gladiateur, je suis descendu dans l’arène soutenir les rétiaires avec leurs filets, les samnites avec leurs boucliers, les thraces avec leurs dagues courbes pour vaincre les apprentissages fondamentaux. Ces combattants comme moi naguère. J’étais seul de mon temps… Ici, ensemble,  nous avons perdu des batailles mais gagné beaucoup de guerres, aussi.
Je me souviens, à bout d’arguments, avoir inventé des machines pour expliquer la règle du « S » encadré de voyelles ou de consonne/ voyelle et vice versa. Quel que soit l’environnement à sa droite à sa gauche… tous les cas de figure. Une machine qui donnait la réponse à tous les coups et vous permettait au bout d’une semaine de jeu de dégager naturellement la règle.
Je me souviens leur avoir appris le rythme dans les mots en confectionnant des moules avec une partie rythme de lecture et l’autre d’écriture. Nous avons ferraillé, soudé, cimenté, creusé et de temps en temps nous prenions un peu de recul pour admirer notre œuvre qui prenait forme. Nous entrions dans le sens, les racines… tout ce qui était à notre portée. Avec beaucoup, il fallait d’abord manipuler pour trouver le truc comme un Rubik’s Cube. Chaque gladiateur avait son arme, il fallait s’adapter.
Et puis un jour, je suis rentré dans une classe. Toujours en recherche perpétuelle essayant de comprendre, j’ai composé avec un état d’esprit nouveau, une approche nouvelle appliquée au groupe et non plus à l’individu en difficulté. Encore une belle expérience qui demande un développement trop conséquent pour en parler ici.
Alors orthograve ? Je me contenterai de répondre orthoplutôtpasmal, voyez, ce n’est pas dire grand-chose, mais si vous saviez tous les trésors cachés…

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2 Comments

  1. Douleur et délivrance, comme souvent chez vous Simon.
    Quelle force! Suis admirative face à tant de détermination. Et je ne vous sens même pas fatigué d’avoir lutté, au contraire, regonflé à bloc.
    Gagnez-vous à tous les coups?
    Je viens de vous surnommer  » le Conquérant ».
    Affectueusement.

    1. Bonjour A.
      Simplement conquérant de ma vie. Je me suis inventé un aphorisme d’agnostique : « Celui qui a intégré la notion de temps, ne se préoccupe plus du sens de la vie et se passe de l’idée de Dieu. » Sujet trop vaste et inabordable dans mon laps de temps. Lorsque je recevrai la convocation pour l’au-delà, s’il me reste un brin de conscience et pour être en phase avec ma notion de temps, je dirai : « Déjà ? Dommage, il fait si beau, ici-bas ! Je feindrai d’être le premier surpris alors que je m’y attendais en Don Quichotte du temps… pour n’être pas allé plus loin que le bout de mon nez… Maigre conquête.

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