La promesse de notre logeur fut tenue en trois étapes.
Il nous proposa, dans l’urgence, d’occuper une pièce dans les combles du château. La cellule comparable à celle d’une prison comportait une lucarne inaccessible à quatre mètres de haut. Les autres box étaient occupés par des célibataires hommes dans le même cas que nous mais tout heureux de se trouver en vadrouille dans un château. La toilette matinale se faisait au beau milieu d’un grenier sans aucun paravent et l’endroit tenait lieu de vaisselle également. Le reste, hors le sommeil, devait se faire là où l’on trouvait une table pour poser livres et cahiers. Nous avons passé une journée, sans y dormir la nuit.
Devant notre déception, l’ami maire adjoint nous promit de faire le nécessaire le plus rapidement possible. Un petit studio en ville fit notre affaire. Un endroit exigu avec une petite cuisine de deux mètres carrés et sans douche ni salle de bain. L’évier était l’endroit le plus visité entre vaisselle et toilette du matin à l’eau froide. La fenêtre servait de frigo pour le beurre et le lait. Nous avions déjà connu pire en plein Versailles, une année avec des toilettes dans le jardin. Le toit était percé, les jours de pluie nous y allions avec un parapluie. L’année suivante nous avions signé un bail à la va vite pour nous apercevoir qu’il n’y avait point de WC. Il fallait trouver un endroit pour jeter le seau hygiénique par mauvais temps pour ne rencontrer personne, la nuit bien tombée. Une menuiserie toute proche avec des toilettes à la turque faisait l’affaire nuitamment. Cela a duré toute l’année avec diverses péripéties comme les draps qui moisissaient à l’humidité ambiante faute de chauffage.
Aux Mureaux, notre « appartement » étriqué constituait un luxe et une montée en grade en termes de logement. Nous attendions notre premier enfant qui devait naître bientôt. Attentif à notre condition, celui qui veillait sur nous réussit à nous faire accorder un appartement digne de ce nom dans une HLM sur le plateau de Bécheville à quelques centaines de mètres du château. Une nouvelle vie riche en rebondissements nous attendait, pas forcément faite de joyeux pas chassés…
L’endroit portait un nom bucolique : « Allée des Bouleaux ». Les habitations étaient cubiques ou parallélépipédiques ce qui est nettement moins poétique. Nous vivions au milieu des familles dont j’avais les enfants en rééducation. Mon métier consistait à venir en aide aux écoliers en difficulté après avoir raté un premier apprentissage. Avec eux, l’objectif était détourné puisqu’il s’agissait de faire une éducation complète. Les interventions scolaires ne reposaient pas sur un échec mais sur l’inexistence de tentative préalable d’un apprentissage. Tout était à faire. Certains enfants inadaptés à notre mode de vie, ne voyaient même pas qu’ils posaient le livre à l’envers… Leurs préoccupations étaient tout autres.
Dans l’immeuble, ce n’était que folklore. Le voisin du dessus guettait ma sortie pour taper à notre porte. Un jour alors que je rentrais chez moi, une femme sortit de chez elle comme une mygale de son terrier pour m’attraper par le bras. En un geste foudroyant, rapide comme l’éclair, je me suis retrouvé chez elle. Elle voulait me croquer. Avant que la porte se referme, la voisine de palier qui avait tout vu s’est précipitée à mon secours pour me faire libérer sur le champ. Les enfants parlaient de leurs nombreux tontons qui venaient voir leur mère, le tout raconté avec une satisfaction toute puérile.
On nous avait offert une poussette pour la naissance de notre enfant et nous la rangions dans une petite cave fermée avec un cadenas. Un matin, la porte était ouverte, il n’y avait rien à chiper… alors, par représailles, vengeance ou simplement bêtise notre premier cadeau était lacéré de coups de couteaux, quasiment inutilisable sinon à promener des stigmates immérités. Vous imaginez ma déception. J’étais connu pour venir en aide à leurs petits frères ou leurs petites sœurs.
Je livre un vécu dans sa stricte réalité sans porter de jugement. Mes débuts dans l’enseignement ne furent pas de tout repos… J’ai avancé sans jamais renoncer à mes convictions pour venir en aide à qui était en difficulté et je vous assure que j’en ai vu dans tous les états.
Voilà pour ceux qui pensent que la vie d’enseignant est un long fleuve pépère. Des vécus comme celui-ci, il y en a de toutes les couleurs. Et pour les non-enseignants, sans doute aussi. Nous sommes dans le même monde.