Parfums du bout d’une vie.
(Ne pas en tirer de conclusions hâtives)
« Et que dis-je ? à présent même, bien qu’à peine vous le sentiez, une sorte de tourbillon
roule et enveloppe vos âmes tour à tour détachées et rapprochées des mêmes objets : tantôt
il vous élève jusqu’aux nues, tantôt vous précipite et vous brise au fond des abîmes… »
Sénèque.
Il s’en passe des choses dans un cerveau ! Et quand on aime la vie, les idées circulent, vont et viennent à leur guise. En toute liberté, toutes débridées. Ça n’arrête pas, ça fourmille et tant pis s’il en jaillit quelques loufoqueries plus ou moins obscures, peut-être incompréhensibles. C’est ainsi, elles surgissent, s’imposent à mon esprit sans attendre mon avis.
Je mesurais, en parcourant le court chemin qui sépare la chaise du fauteuil, que le temps est bien cruel avec nous. On m’a toujours dit, que j’étais alerte, vif, plein de vie, de bonne compagnie… que je voyagerai loin. Je veux bien le croire et je crois volontiers tout ce qui me réjouit. C’est tellement plus agréable !
Durant quelques instants, j’ai fait un grand bond dans le passé. Je me suis souvenu de cette institutrice très impliquée dans sa mission. A tel point qu’elle en devenait insupportable avec ses élèves, persuadée qu’elle mènerait chaque enfant sur le droit chemin de la sixième avec le maximum d’atouts dans son cartable. Cela partait d’un bon sentiment. Toute en sincérité et bonne volonté, elle poussait chacun à remettre l’ouvrage sur le métier, encore et encore. Nombre d’élèves qui étaient arrivés jusqu’à sa classe bourrés de lacunes ne s’attendaient pas à être suivis, poursuivis de la sorte. Secoués, ils en rêvaient la nuit. Tels des galériens, ils ramaient dans le Bescherelle ou le Bled avalant nombre de règles, de gré ou de force. Stricte dans tous les domaines, le sérieux accroché à son visage, pour rien au monde, elle n’aurait tenté une plaisanterie. Son aura en aurait subi un trop mauvais coup. Toute en contrôle pour garder de la distance, elle en devenait austère. Au garde à vous dans les rangs silencieux de la classe, nombreux étaient ceux qui s’apprêtaient à passer une journée difficile. Chacun campait sur ses positions sans qu’aucun dialogue ne s’installe pour distendre des regards cadenassés.
Un jour, alors que nous étions souvent les premiers arrivés à l’école, elle se présenta à moi avec une mine très déconfite et la respiration saccadée. Elle était suffoquée. Elle venait de croiser un de ses anciens élèves dans un passage obligé très étroit. Une sente qui vous impose d’avancer de profil pour faciliter la circulation. Son ancien élève s’est planté devant elle et lui a craché au visage. Sans un mot et sans fuir. Et dire qu’elle avait tout fait pour le sortir de l’ignorance, avouait-elle au bord des larmes. Alors qu’elle lui souriait en le voyant venir, cette rencontre eut un effet destructeur, vous l’imaginez aisément. Déjà, de bon matin tout allait de guingois.
C’était une dame sensible, souffreteuse mais rarement absente, proche de la retraite. Sa très grande implication, sans concession et sans recul, l’avait fortement fragilisée au point qu’elle en était devenue superstitieuse et très égocentrique. N’importe quel petit évènement prenait une importance extrême pour l’accabler au plus haut point. Elle se sentait visée en permanence, cela tombait toujours sur elle. Un matin, la neige s’était invitée presque sans prévenir. La cour se couvrait d’une couche blanche déjà conséquente lorsque je la vis apparaître avec son petit foulard sur la tête, toute remplie de tristesse. Elle trotta prestement vers moi avec un air abattu : « Voilà, je le savais, c’est tombé sur moi parce que je suis de service aujourd’hui ! » L’idée de courir après les fanas de la boule de neige l’épuisait avant même de commencer la journée. Cette femme avait bon fond et s’était persuadée de sauver le monde en oubliant de penser à elle.
A quelques jours de son départ à la retraite, elle est tombée malade. Son relâchement, à l’idée de pouvoir enfin souffler un peu, avait produit l’effet inverse : maintenant que sa « mission » est terminée, elle se donne le droit de craquer. Son corps n’en pouvait plus, il avait tant supporté les autres qu’au moment de s’occuper de lui, il n’avait plus de forces. Je me souviendrai toujours de cette femme qui a fait don de sa vie, pas toujours avec bonheur et circonspection mais elle était sincère. Elle a oublié de penser que le bonheur des autres n’était pas entier entre ses mains et que le sien en subissait les conséquences. Une histoire dans le droit fil des choses de la vie.
Mais quel rapport a donc ce récit avec l’annonce du titre ? Aucun ? Sans doute, pensez-vous que je me suis fourvoyé dans une longue digression…
Pour suivre une vie chausse-trappe dont on ne sait jamais où est la trappe et qui se déroule comme un enfer tranquille mieux vaut se leurrer pour entretenir l’illusion. On m’a menti… Je voulais dire : je me suis menti tout seul comme cette dame engagée, tel un candide de la plus pure blancheur… Mais je me suis arrangé pour que tout n’aille pas de guingois, bien au contraire, je voyais de la lumière partout et me suis aventuré avec bonheur dans ces coins lumineux. Mais aujourd’hui, je m’aperçois que je file vers des lieux plus obscurs et cette fois-ci, je ne peux plus dire : « On verra bien. »… Des nuages vont s’amonceler devant mon soleil, l’ombre s’installera puis le noir tirera son rideau opaque.
Tout ça pour ça, quel dommage ! Heureusement, je n’ai pas oublié de semer au passage…
On m’a menti!!!un moment je me suis demandé ……et puis j’ai lu et j’ai aimé (De la chaise au fauteuil)et puis tous ces petits details concernant cette institutrice.
Au fur et a m esure que l’on avance dans la vie notre passé refait surface.(on vieillit)
Beau texte,j’ai aimé
bonne soirée
Voilà un nouvel éclairage dans la suite de vos réflexions. La forme reste toujours aussi plaisante et l’anecdote pleine d’humanité.
Quant au fond, je m’en vais y réfléchir
A vous relire
Emouvante pensée qui remue des sentiments profonds d’Empathie pour la vieille institutrice (qui gardera son mystère) dans cette anecdote très touchante.
Merci JP. Ce que tu notes entre parenthèses est de la plus haute importance dans le récit. En effet, se voilait-elle la face pour rester cette institutrice dont elle avait rêvée à ses débuts ? A-t-elle refusé de voir le côté violent qui l’aurait empêchée de croire qu’il suffit de donner ? Une fragilité masquée sans doute. Et le mystère dont tu parles est peut-être un refus de voir ce qui serait désespérant pour elle… « Cachez ce sein que je ne saurais voir », j’imagine bien cette expression sortie de sa bouche, elle était parfaitement ainsi.