Une vie de campagne.

faucille-002Seul, dans ma campagne, perdu dans le foin.
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Le citadin recherche le pâté de campagne qui n’a de campagne que le nom. Un produit fabriqué en usine soit disant à l’ancienne pour que le charme des mots opère encore très loin des lieux bucoliques. L’image de la  campagne envahit les villes pour faire rêver les citadins. Un pouvoir d’attraction destiné à séduire la clientèle des agglomérations.

« De campagne » est devenu label de qualité. Mais un label trompeur pour un produit dénaturé.

J’ai connu « u pani di campagna » que je traduirais par pain de la campagne et non de campagne. C’était un pain fendu dans le sens de l’épaisseur que ma grand-mère préparait le soir et  plaçait dans la musette de mon grand-père.  Un pain emmailloté dans une serviette qui allait voyager jusqu’aux champs subissant les soubresauts de la journée, trimballé à l’aller comme au retour sans jamais quitter sa cachette. Progressivement, il s’imbibait d’huile d’olive de friture et du jaune des œufs frits des deux côtés emprisonnés entre les tranches. Grand-père avait son repas à part. Il se contentait de promener celui des enfants pour qu’il s’imprègne bien des odeurs de la musette habituée à courir  la campagne. Parfois, il enfouissait quelques herbes sauvages pour la cuisine dans la besace déjà culottée de parfums divers. Le soir, juste à son arrivée à la maison, grand-mère nous faisait sentir toutes ces odeurs si particulières puis chacun dégustait sa part, les yeux fermés comme pour refaire le parcours à travers les chemins et les champs dans le confort d’une musette.

J’ai connu le curé de campagne qui soignait les âmes, portait la parole rassurante et gardait les enfants tantôt à la messe tantôt au catéchisme… ce n’était pas négligeable. Il confessait les âmes torturées qui s’agenouillaient devant un saint pour faire pénitence et repartaient le cœur léger, refaire à nouveau le plein de bêtises. Un va et vient nécessaire qui vous remplit une vie de saveurs croustillantes. Cela valait largement les séances de psy. Le pécheur déversait dans le confessionnal les mauvaises pensées difficiles à porter en étant certain que le secret serait bien gardé.  La prière et l’hostie réparatrice avaient l’efficacité d’un placebo médical puissant que, seuls, les plus convaincants savent distiller. Dieu semblait plus s’intéresser à la campagne qu’à la ville, le temps y est plus long et sa présence réconfortante. L’odeur de la cire chaude des cierges, les gouttes d’eau bénite  et le nuage d’encens qui enveloppait les visages, s’ajoutaient pour augmenter l’efficacité de la manœuvre.

J’ai connu l’instituteur de campagne qui suivait chaque famille et se faisait un devoir de conduire tout enfant au meilleur de ses possibilités. Il gérait des niveaux différents de main de maître, c’est le cas de le dire, et avait la confiance des parents. Une synergie toute campagnarde.

Le médecin des champs partait en visite par tous les temps. Il arrivait, parfois, après minuit et ne repartait que lorsqu’il savait son monde rassuré. Il lui suffisait d’entendre une toux du côté de la cheminée pour comprendre que toute la famille sera touchée par la grippe. Il prévenait. S’il remarquait un visage pâlot en serrant les mains, il vous baissait la paupière d’un doigt expert et sûr pour observer en coup de vent le blanc d’un œil. Il repérait l’enfant fiévreux qui prépare quelque chose. Sa présence était toujours apaisante. On savait qu’on pouvait compter sur lui. Lorsqu’il s’asseyait à la table, c’était pour établir une ordonnance et ne tendait pas toujours la main pour recevoir les honoraires de sa visite. Il savait que ce jour-là, son passage devait être gratuit comme si un sens supplémentaire lui indiquait que les porte-monnaie étaient fatigués. Tout se faisait naturellement sans que personne ne dise mot… Un autre jour, lorsque ce sera la saison, il repartira avec un ficateddu ou quelques œufs pondus de fraîche date. C’était une affaire de personne à personne et non de docteur à pathologie. Il portait bien son nom : médecin de famille et de familles.

Je me suis souvenu de ce temps. Je suis revenu, tant que c’est possible, à cette vie de contact avec la nature et les choses simples. Je rêve encore de jadis, je revisite mon enfance et cela me plait. Je passe à table avec mes aïeux, je leur souris, je les accompagne au jardin, aux poules, je me chauffe au coin du feu avec eux… Je refais les granaghjoli (une bouillie) de farine de châtaignes, je cuisine les alouettes sans tête de ma grand-mère. (Ce ne sont pas des alouettes mais des morceaux d’escalopes de veau rouge de chez nous). Je revis les saisons. Le temps des tomates, du raisin, des figues, des noix et des châtaignes reprennent tout leur sens même si la météo a perdu la tête et ne sait plus ce qu’elle fait.

Je suis bien dans mon époque pourtant, inutile de me prendre pour un dinosaure resté coincé à l’ère secondaire. J’ai fait ce choix, le seul qui me convienne vraiment. Je pense avoir un esprit rationnel, parfois scientifique lorsque je porte un œil détaché sur les choses de la vie et les merveilles de ce monde. Mais j’aime le vent qui vous bouge et vous remplit de sensations diverses… J’aime la vie tout simplement, sans trop de tralala, cette vie qui joue avec le corps et l’esprit et qui dit : écoute, regarde, sens, touche, goûte, souris, pleure aussi…

J’ai retrouvé ma vie de campagnard, je redoute seulement que la vieillesse ou la maladie m’obligent à partir de chez moi. J’aimerai tant finir ici et m’en aller dans ce cimetière où sont tous les miens et que j’ai tant visité depuis mon enfance. Ce sera mon dernier village face à l’église. J’y sentirai le froid, subirai la pluie, supporterai la neige et le soleil du mois d’août sous le chant des grillons que j’ai tarabustés étant jeune. J’aimerai sentir le vent qui joue dans les cyprès, l’entendre dans la nuit froide, gronder dans les chênes et les châtaigniers comme au temps où il me faisait frémir après minuit, alors que  je recherchais des sensations fortes. Et puis voir encore sans être vu, vivre une autre manière de vivre… C’est le grand mystère de l’au-delà qui laisse quelque espoir.

Je crois avoir été toute ma vie un homme de la campagne même si j’ai eu, un temps, l’esprit des villes.

Là, j’en suis sûr, plus personne ne pourra me sortir de mon paysage. Je dormirai sous ma terre jusqu’à la nuit des temps, effacé des mémoires, définitivement chez moi.

3 Comments

  1. Voici comment j’arrive à savoir qu’un écrit, une association de plusieurs idées, rendent mon coeur plus léger … je tente d’en retirer la subtantifique moëlle … et me rends compte que tout me va, qu’il m’est difficile de ne retirer qu’une phrase essentielle, car je le vis : tout est essentiel… mon coeur est léger , merci Simon…

  2. Merci Simon, je me plais à lire vos textes. Ma mémoire ne s’efface pas; et grâce à vous je replonge dans mon enfance, je retrouve les visions, les odeurs, les émotions.

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