Demain n’existe pas…
C’est la cinquième fois, cette année, que je tombe dans le jardin. J’ai vu la fin durant deux ou trois secondes, peut-être moins. Dans ces moments très brefs, l’esprit fonctionne à une vitesse inimaginable.
Tout se regroupe en un éclair, le passé et le présent se résument avec une fulgurance inouïe.
J’avais beaucoup travaillé le matin, à réaliser un petit ouvrage qui demande de nombreuses opérations en faisant du surplace. J’étais fatigué.
En fin d’après-midi, je suis allé au jardin ramasser les dernières tomates.
En remontant vers la maison – l’endroit n’a de jardin que le nom, il est plutôt trop pentu, naguère recouvert de maquis épais – je trainais les pieds, j’avais oublié que les marches du chemin présentaient des hauteurs inégales, bien trop hautes par endroits. J’ai raté un palier et je suis parti vers le ravin juste à l’aplomb du bassin plein à ras bord. J’ai vu ma tête se fracasser sur les bords de l’ouvrage et mon corps basculer au fond de l’eau. J’ignore comment j’ai fait, entre réalité et film accéléré de ma vie, en un temps infiniment bref, j’ai réussi à freiner la chute tout en haut de la pente.
Envahi par un étrange sentiment né de l’instinct de conservation et de l’impression de ne pouvoir réagir, je suis resté un bon moment sans bouger pour réembobiner tout le film.
J’ai pensé aux lendemains qui n’existent pas. J’avais déjà quelques projets pour les jours à venir…
Le déclin me paraissait évident.
Il ne m’en fallut pas plus, rassemblant mes esprits, pour faire le point sur mes entreprises prochaines.
Sept marcottages aériens de figuiers blancs, réalisés en vue d’une plantation dans l’autre jardin tout aussi pentu. J’avais l’intention de créer « un ficaghju » (endroit planté de figuiers) pour la postérité, pour les générations futures. La plantation était prévue pour la sainte Catherine vers la fin novembre.
J’y serai s’il me reste souffle de vie.
J’ai répertorié les endroits des futurs arbres fruitiers comme ceux des fèves et des petits pois à rame dont la mise en terre se fera au même moment.
J’ai revu mes ambitions à la baisse pour la saison prochaine ; mon jardin d’été se résumera à une plateforme d’une trentaine de mètres carrés.
Le soir, j’étais encore songeur, j’aime bien prendre la mesure de l’ampleur de ces moments délicats…
Très tard, lorsque tout le monde était endormi, les petites filles sont en vacances chez nous, l’une d’elles qui me suivait a failli assister au drame, je me trouvais dans mon fauteuil devant un spectacle de concert pour trompette.
Ibrahim Maalouf était à l’instrument devant un public considérable. Je regardais ces visages remplis d’émotion, des visages de femmes transportées ailleurs, aussi beaux que la musique, des expressions diverses, des larmes essuyées qui ne tardèrent pas à monter à mes yeux tant j’étais ému aussi.
J’ai vu des lendemains s’élever vers les étoiles, toute l’humanité possible dans le cœur des hommes, cette communion entre être sensibles montait dans la nuit pour atteindre les étoiles.
Un monde rassemblé à l’Accor Arena, silencieux, en pleine ferveur prêt à s’envoler de concert.
J’ai soudain eu peur de devenir sourd, de ne plus entendre cette musique qui rassemble et apaise le monde présent. J’ai découvert, très tard, les envoutantes harmonies, les douces mélopées qui survolent les masses pour les souder dans un même apaisement et un même envol émotionnel.
Lorsque le trompettiste appela sur scène une jeune musicienne, ce fut l’apothéose de l’émotion.
Les concertistes venaient d’entamer une longue improvisation pour flûte traversière et trompette… le trompettiste se retira sur la pointe des pieds laissant la scène à sa jeune élève dans un solo majestueux.
Un solo, l’exact contraire d’une solitude puisque la musicienne enveloppait le public dont la ferveur était aspirée au plus profond d’une l’adhésion silencieuse fondue dans la mélodie.
A la note finale, j’étais englobé dans ce monde hypnotisé, j’ai failli me lever et applaudir dans mon coin perdu en Aratasquie silencieuse.
Dans ce moment magique, je venais de comprendre qu’il y aura des lendemains pour l’autre, des lendemains qui se poursuivront sans moi qui m’étais perdu dans mon « ici et maintenant »…
La renaissance est ailleurs.
…
Je ne sais que dire après la lecture de ce billet très beau, rare dans son humanité profonde et tendre.
Tout de même vous demander si pas trop de blessures et de souffrance.. ?
Non, pas de blessures mais une grande frayeur, j’ai compris que mes lendemains ne sont que fiction.
J’ai vraiment eu peur car le choc semblait inévitable et ma petite fille qui a essayé de me rattraper était derrière moi, elle a eu peur aussi.
On s’est regardé comme pour dire à l’autre « Tout cela ne tient pas à grand chose. »
Tout va bien, j’ai terminé mon travail ce matin.
Merci Al.
Les lendemains seront sur 30m², c’est déjà pas mal 😉
😉
Plus la cour qui est plate.
C’est terrible comme tout peut basculer en un instant, et ce pouvoir du cerveau à remonter tous les évènements d’une vie en quelques dixièmes de seconde ! J’ai un jour tapé de la tête sur du ciment tout en me fracturant la tête d’humérus…. même sensation, à terre, en sentant qu’on ne peut (et qu’il ne faut) pas se relever !!!
Une autre expérience m’a fait vivre une coupure de 45 minutes (jamais récupérées) dans ma vie lors d’un ictus amnésique….
Tout cela remet les pendules à l’heure : nous sommes peu de choses et nous ne nous émerveillons jamais assez du moment présent.
Espérons que ce genre d’incident ne vous arrivera plus ! Belle soirée Simon
Je partage votre avis et tout cela sera développé dans « Une lueur dans la brume » si je me décide à poursuivre les publications.
Je vais mettre la pédale douce, pas dans la réflexion mais dans l’action physique, je prends trop de risques, j’ai découvert mes limites mais une action risquée, inconsidérée, peut m’échapper et voilà…
Belle soirée aussi Gibu ! 🙂