Le dur, le mou et le demi-tendre.

québec

 

 

 

Ecouter sans entendre et regarder sans voir.

 

 

 

Voici trois cas d’enfants en difficulté face aux premiers apprentissages de la lecture. Ils semblaient ne pas comprendre tout cet acharnement qui s’était mobilisé autour d’eux et faisaient de la résistance.

Les portraits qui suivent décrivent leur état en début de parcours.

Le sanglier (Le solitaire, d’ordinaire un  vieux sanglier, avait douze ans lorsqu’il est arrivé chez moi)

Perdu dans l’épais maquis de la foule scolaire, Jean Paul avait pris l’habitude de venir renifler le maïs que je lui servais dans ma clairière. Son regard noir et sauvage se posait rarement sur mon visage qu’il évitait soigneusement. Son groin désespérément clos ne s’entrouvrait que pour mâchonner un vague grognement et recracher illico la manifestation de son dégoût de communiquer.

Dans ses moments de bonté, il daignait flairer la nourriture que je lui tendais mais finissait toujours par la repousser puis la disperser, manifestant ainsi son désir de fuir toute empreinte civilisée. Ses molaires solides actionnées par des mâchoires puissantes, avaient écrasé plus d’une syllabe, pulvérisé plus d’une consonne ou voyelle afin qu’elles ne produisent jamais la moindre synthèse pertinente. Ses défenses acérées, toujours prêtes à étriper l’intrus, s’acharnaient à déchirer les phrases comme si le sensé, l’unité, l’entité, irritaient ce personnage entier. Son cuir enfin, constituait la carapace, résistance suprême à toute épreuve, capable d’émousser toutes les bonnes volontés… invariablement vécues comme des agressions.

Deux ans plus tard, au hasard des rencontres, j’ai croisé Jean Paul dans la rue. Il m’a gratifié d’un large sourire et d’un « bonjour » franc.  A son oreille gauche pendait une superbe boucle blanche visible de loin… Peut-être que les débroussaillements successifs de la vie ont eu raison de son instinct de solitaire.

Le pagure. (Cédric 8 ans)

Lorsqu’il apparaissait timidement dans l’entrebâillement de ma porte, l’air préoccupé, je m’attendais à une séance de mutisme blindé.

Les stores de ses yeux baissés, les mâchoires cadenassées, Cédric se préparait à résister à toute tentative de communication. Il avait de l’aversion pour le scolaire et tout ce qui le touchait de près ou de loin.

Ce jour-là, il avait décidé de tenir bon, vaille que vaille lorsqu’un : « TINN… Tinn… Tinn tinn tinn » se fit entendre au-dessus de nos têtes. (Probablement une bille qui venait de quitter une poche de manière intempestive au beau milieu d’un cours.)

Cédric releva une paupière et le regard interrogateur me lâcha :

-Tu connais le bruit des calots ?
-Oui, mais je crois que c’était une bille, plutôt !
-Je sais ! M’assura-t-il en refermant le rideau.
-Et toi, tu connais le bruit que font les lettres ?
-Ah ! Ça non ! m’infligea-t-il, d’un ton sévère,
 les yeux révolver.

Puis, il ferma son scaphandre, ne gardant plus que le tuyau de respiration branché sur l’extérieur. Il protégeait ainsi son ventre mou comme il disait  « mes dessins son mous, mon écriture est molle… », dans une carapace solide car, pour ce bernard l’ermite, la lutte pour la vie passait par cette étape.

Le lémurien (Gérald 8 ans)

Deux gros calots à la place des yeux lui mangeaient le visage, lui conféraient un air perpétuellement ébahi  et effarouché comparable à celui d’un lémurien surpris par le flash d’un photographe nocturne.

Son regard panoramique de grand angulaire gommait tous les détails de sorte qu’il souffrait de la myopie du dyslexique. Son approche visuelle ratissait large et se troublait dès qu’il fallait focaliser serré. C’était alors qu’il regardait sans voir…

Son esprit de tarsier vagabondait de branche en branche faisant de lui un merveilleux conteur et un dessinateur au détail riche et fourni… comme un paradoxe.

Du haut de son arbre tropical, dans sa bulle, Gérald nous épiait montrant sa surprise devant les stupides dompteurs que nous étions, cherchant à l’apprivoiser afin qu’il descende dans les fourrés.
Il gardait ses distances…

Pagure= bernard l’ermite
Lémuriens et tarsiers sont des primates à la vie arboricole.

2 Comments

  1. Je ne me souviens pas avoir déjà lu sur ces trois personnage. La méthode métaphorique simonesque d’écoute et de restitution des enfants m’enchante toujours. Elle est comme une ambitieuse humilité à leur service. Rare et assurément pas moins efficace que d’autres grilles d’observations. A vous relire

  2. Les lettres sautillent et font du bruit .. avant je n’en connaissais que la couleur … mtnt elles chantent en symbolique et métaphore … bu leur musique comme du petit lait .. j’ai aimé le paradoxe … combien sommes-nous à regarder sans voir ? …

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