Image. Pour éviter tout quiproquo, un potomane est une personne qui éprouve un besoin irrépressible de boire, de l’eau généralement, en grande quantité. La maladie s’appelle la potomanie.
Avec les médias fulgurants et la vie trépidante des temps, l’humour n’est plus ce qu’il était.
Il n’est jamais certain que votre trait du jour ou du moment soit compris et savouré à sa juste valeur. La finesse n’est pas toujours perçue, le premier degré prime bien souvent sur le décalage. Aujourd’hui, faire de l’humour est un métier et le sketch, pour être réussi, doit lâcher une vanne toutes les trois secondes sinon le public s’ennuie.
Lorsque j’étais adolescent, l’humour était omniprésent. A l’école, à l’église comme dans les chaumières et dans la rue. Parfois soudain et percutant, souvent distillé et tiré en longueur pour faire durer le plaisir. Le soir à la veillée, surtout les longues nuits d’hiver devant la cheminée, chacun y allait de la sienne en étirant au maximum, en mixant vrai et faux afin de déclencher les rires au moment de la chute finale. Une pratique qui avait le souci de prolonger les récits pour provoquer une sorte d’effet retard, jusque dans les fous rires avant de vous endormir au fond du lit, tant l’effet de surprise était préparé. Je vous parle d’un temps dont le seul écran animé était la cheminée. Tous les regards étaient rivés sur le feu depuis la flambée jusqu’aux tisons assoupis pour assurer la totalité d’un film que chacun inventait à sa guise tout en écoutant les interminables blagues en bruit de fond.
L’humour était un état d’esprit et surgissait à tout moment. Je me souviens de Marie…, toutes les filles ou presque s’appelaient Marie en premier prénom, qui s’était rendue à l’épicerie après la classe pour faire quelques courses. L’épicier, c’était un réflexe, lui demanda : « Et l’école comment ça va ? » Marie qui ne rêvait que de quitter le collège tant elle en avait assez, répondit : « Oh ! Ne m’en parlez pas ! Que Sainte Lucie me préserve la vue et que le Bon Dieu me donne la santé et puis le reste, je m’en accommoderai ! » La question n’était pas anodine, l’épicier s’attendait à une sortie de ce genre. Quelques instants plus tard le prof de math passe aussi par l’épicerie, ressortant parfaitement informé du demi-sketch. Le lendemain, il se chargera de donner une suite au moment de la remise des copies. Marie a dû patienter jusqu’à la dernière pour avoir la sienne : « Que Sainte Lucie te préserve la vue et le Bon Dieu te donne la santé et en maths, un 4 sur vingt te suffira largement ! » Les élèves qui baignaient dans l’humour permanent riaient sans connaître le début de l’histoire. Formés à cette école, ils n’allaient pas tarder à recoller tous les morceaux.
Lorsque les histoires étaient racontées des centaines de fois, elles s’étoffaient, s’enrichissaient des arrangements successifs. Chacun y allait de ses ajouts, ses transformations pour faire plus marrant si bien qu’au centième récit, la part de réel se résumait à l’idée de fond, tout le reste était inventé.
Voici l’histoire du Corse qui revient d’Afrique après quelques années avec un enfant noir alors qu’il est marié avec une blanche. Remarquant la surprise de sa mère, il déclara : « Je ne t’en ai jamais parlé car j’ai appris que la nourrice qui a allaité ma femme était noire aussi… » La mère qui avait le sens de l’humour local, lui répondit : « Ah, je comprends. Toi aussi tu as été élevé au lait de chèvre et c’est pour cela qu’aujourd’hui tu portes les cornes ! » Evidemment, on la connait sous diverses versions, j’ai choisi de faire court. Il se disait, notamment, que l’épouse avait supplié le médecin accoucheur de lui faire avaler une explication pour lui épargner une catastrophe, en précisant que le mari trompé n’était pas plus malin que cela. Chacun brodait à partir de ce thème mais on n’a jamais su quelle était la part de vérité dans cette histoire. Peut-être a-t-elle été totalement inventée.
Je vais terminer par l’histoire du pou que peu de gens connaissent. Elle est fondée sur la crédulité et la naïveté des gens.
C’était au temps des premières tractions noires et très peu de voitures circulaient au village. Une personne visait quelques affaires du côté de Porto-Vecchio à une quarantaine de kilomètres. Elle avait besoin d’argent pour s’y rendre, payer le chauffeur et ses « affaires ». Les poux couraient les familles en ce temps-là, et l’école assurait la transmission de tête en tête pour bien ravitailler la population. Notre voyageur eut l’idée d’aller dans les foyers pour raconter qu’il existait un remède miracle et qu’on pouvait le trouver dans une pharmacie de la Cité du Sel. Il fallait que chacun donne de l’argent s’il voulait recevoir le remède miracle au retour de l’enfant prodigue au village. La récolte fut belle et bonne pour ses affaires. Il existait beaucoup de médicaments conditionnés dans des petits flacons avec compte-gouttes. Le gros malin en avait trouvé quelques-uns vides (c’était facile à trouver, je peux en témoigner) puis se rendit dans chaque famille contributrice après avoir rempli chaque fiole d’un liquide jaune (les mauvaises langues racontaient que c’était de l’urine) pour leur remettre leur dû. Il n’avait pas prévu, qu’un petit curieux lui dise : « Tu me donnes un flacon sans notice. Dis-moi comment faire, au moins ! » Sans se départir de son sérieux, l’imposteur lui expliqua : « Ecoute, c’est facile. Lorsque tu sens qu’un pou se déplace, tu l’attrapes puis le tenant entre le pouce et l’index tu attends qu’il ouvre la bouche et là, tu lâches deux lampées avec le compte-gouttes. Tu verras c’est radical ! » L’autre interloqué s’écria : « Pourquoi tu ne me l’as pas dit avant ? » « Et pourquoi ? » « Eh bien, parce que si je l’ai entre les doigts, je l’écrase avec mes ongles, je n’ai pas besoin de ton produit ! » Cette histoire est mille fois plus croustillante racontée en corse avec tous les effets d’un bon comédien.
Allez savoir quelle est la part de vrai dans tout cela. Peu importe, cela a animé quelques soirées au coin du feu. Aujourd’hui, on aurait buzzé au bout de vingt secondes : « Trop long et pas une vanne jusque-là ! »
Les modes de vie changent et l’humour se transforme avec l’air du temps.
Il y a de quoi écrire un livre avec toutes les histoires que je connais pour les avoir entendues à la lueur d’une flamme ou d’un tison incandescent les soirs de veillées hivernales…