Evidemment…

Evidemment, non !
Nos parents faisaient tout pour que nous ne soyons pas gênés par cette intimité qui devait rester secrète.

Mes souvenirs remontent à l’âge de six, sept, huit ans.
Nous habitions en plein milieu du village, au deuxième étage d’une grande maison sur le bord de la route principale dite « a Surba » (Quartier « La Sorba »).
Nous n’avions pas de WC, chacun faisait ses besoins dans un seau commun.
Evidemment, il n’était pas question de traverser le village pour aller le vider à la périphérie, il était versé derrière la maison, par la fenêtre, côté jardin. Tout le monde procédait de la sorte dans l’immeuble, une nappe « flapotante » et nauséabonde embaumait les environs.
Je me souviens d’un voisin qui, remarquant des boudins consistants restés érigés sur la partie sèche du talus, s’était écrié « Certi stonzuli parini pyramides ! » (« Certains étrons ressemblent à des pyramides ! » C’est moins comique et moins percutant en français.)

Lorsque nous avons déménagé au fond du village, dans un endroit isolé, nous étions réglés comme une horloge faisant les grosses commissions sous un chêne qui surplombait un talus. C’était un chemin fréquenté par des paysans qui se rendaient à leurs jardins, nous savions leurs heures de passage, grosso modo, les rencontres étaient rares… Qu’auriez vous voulu que nous fissions d’autre !
C’était la seule solution, l’affaire était connue de tous, très peu de gens en parlaient, sauf pour faire de l’humour.

J’ai vécu pendant quelques années dans la honte et surtout la crainte d’être repéré, il fallait ruser et calculer la chose, tous les jours. Cela dura jusqu’à ce que je parte chercher du travail sur le continent. J’avais vingt-quatre ans. La période fut longuette, je ne me souviens plus d’en avoir vraiment souffert, sans doute par déni ou par oubli réparateur.

En arrivant à Versailles, la première année, ce fut un très mince progrès.
Nous avions pris location dans une villa bourgeoise, la propriétaire vivait à l’étage, nous occupions la partie basse, une grande chambre avec une petite cuisine dont la porte ouvrait sur un jardinet.
C’est dans ce lopin de terre que nous avions les toilettes. Une petite cabane en bois, au toit disjoint par endroits, de sorte que les jours d’averses, nous y allions avec le parapluie. Je retrouvais mes habitudes et m’en accommodais sagement. Cela a duré toute une année avec des épisodes pénibles. La bourgeoise se disputait avec son fils et venait geindre devant notre porte jusqu’à ce que nous ouvrions pour passer un moment avec elle.

L’année suivante, nous prîmes grande chambre et petite cuisine à « Viroflay le bas », limitrophe de Versailles. Dans la précipitation nous signâmes le bail, ce n’est que le soir, nous étions entré l’après-midi, que nous découvrîmes qu’il n’y avait point de WC. Décidément, j’étais poursuivi par la malédiction du caca-pipi dans le popo !

Le propriétaire, délocalisé, était invisible, nous payions par courrier.

On nous avait tenus au parfum si j’ose dire.
Des toilettes à la turque dans une menuiserie, de l’autre côté de la rue, nous permettaient de vider le seau la nuit. Si possible, nous choisissions les soirs de mauvais temps, des produits spéciaux nous permettaient de tenir deux ou trois jours.
Je partais en éclaireur, faisais signe à mon épouse de filer vers le cabanon dont la porte n’était jamais fermée à clé.

Un dimanche nous avions invité deux vieilles dames à déjeuner. Nous les avions installées dos au lit situé à un mètre de la table. Au milieu du repas, Giselle demanda la direction des toilettes.
Je dus changer de place, pour ne pas être en face, en lui indiquant le seau planqué derrière la couche. Un moment suspendu dura de longues minutes, nous faisions silence, ignorant la raison pressante. Sans doute gênée, elle faisait de la rétention, nous n’entendions rien. Puis soudain, un jet sonore gicla et fit chanter le seau d’une musique très facilement reconnaissable, un classique joué par à-coups. Lorsque des éclats de rires retentirent dans la pièce, elle se lâcha totalement et ce fut le chant continu d’une cascade locale appelée « Piscia di Gallo » (Pipi de coq), très courue par les touristes en période estivale.

L’histoire des pots de chambre prit fin à « Viroflay le haut » dans un studio digne de ce nom, j’attaquais ma vingt-septième année.
Rendez vous compte vingt-sept ans sans toilettes ! Ce n’est point une affaire courante.
Une autre galère allait succéder à l’inconfort comme une autre malédiction.
Nous logions à dix pas de la gare rive gauche qui desservait quasiment tous les points de nos mutations, un endroit choisi pour cette raison. Hélas, nous fûmes mutés dans le nord des Yvelines. Il fallait se rendre à Paris St Lazare en démarrant à la gare rive droite située à l’opposé de notre résidence, très tôt vers cinq heures du matin.
Nous y allions presque gaiment, sans rechigner, nous craignions de perdre notre travail.
Nous n’avions pas le temps de geindre…
La vie était belle, il suffisait de le penser ! 🙂

Etonnant non ?

Cette photo à été prise il y deux ou trois ans.
Reconnaissez que pour nous c’eut été un énorme progrès !

2 Comments

  1. Et encore, à la campagne, la terre absorbait, mais en ville les gens vidaient les pots de chambre dans la rue 😉
    J’ai connu la cabane au fond du jardin chez nos voisins dans les Landes et chez des amis dans la Nièvre dans les années 60. Je voyais par la fenêtre la mamie le matin arroser les plants de salades avec le seau de la nuit…
    Je ne mangeais pas de salade chez eux 😉

    1. Elle n’avait pas besoin d’assaisonnement 😉
      Pour mon cas cela dura 27 ans tout de même, y compris dans des endroits que vous deviez connaître.

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