Les costumes.

L’élégance n’est plus ce qu’elle était.

Il y a un peu plus de vingt-cinq ans, j’achevais ma période citadine.
C’est dans le plus grand bonheur que je retrouvais mon village natal et tous les coins de mon enfance. Une attirance si forte, bien plus que l’appel de la forêt, me conduisait à des comportements insensés. Lorsque je rentrais le samedi midi et que le temps printanier le permettait, la table était mise dehors devant la cuisine. A mon arrivée tout était prêt. Le soleil frappait sans réserve, je me relâchais totalement lorsqu’un long pastis bien dosé, servi dans un méga verre, commençait à faire rire les oiseaux…
J’étais tiguidou, aurait dit un québécois !
C’est à ce moment précis, du deuxième ou troisième service, que l’envie irrépressible de fuir dans le maquis me prenait.
Sans me sustenter le moins du monde, l’appel du ruisseau était trop fort, je sautais en piste.
En quelques minutes, j’étais transformé en pêcheur, ma femme m’accompagnait en voiture et me laissait sur le bord de la route.
Tel un cascadeur fou, je dévalais la pente vers la rivière, à toute allure, j’avais l’impression de voler, parvenant à destination en une vingtaine de minutes alors qu’en marche cadencée, il en fallait bien une quarantaine.

La rivière m’attendait.
J’étais heureux, perdu si loin de chez moi en écoutant les coulées complices, les clapotis qui semblaient me parler comme au temps de ma jeunesse :
– Regarde, derrière ce rocher, une belle arc-en-ciel est en maraude ! 
On aurait dit que les branches des aulnes, à peine déboutonnées, les bougeons tout juste débourrés, me faisaient signe aussi.
Le vent léger, d’ordinaire peu favorable au pêcheur, inclinait un rameau pour qu’il désigne du bout de sa toute petite feuille finale encore d’un vert tendre, l’endroit exact où la truite était en chasse.
La communion était parfaite. J’avais retrouvé mes sensations de jeune garçon, en pareille saison.
Je filais parmi les ronces, je fus pris au piège de deux vieux troncs d’arbres qui me semblaient n’en faire qu’un. Je pensais sauter sur un seul, ils étaient camouflés par les broussailles et me trouvai prisonnier au fond d’un énorme roncier masquant le croisement de deux fûts qui s’étaient abattus sous la force d’une crue. Je repartais à l’assaut du courant à quelques dizaines de mètres après avoir bataillé longuement pour me sortir de la chausse-trappe. Tout le corps était scarifié de griffures infligées par les milliers d’épines qui assuraient leur rôle de mise en garde :
– Qui s’y hasarde, s’y pique ! m’infligèrent-elles.
J’étais prévenu et plus jamais ne tentai une telle témérité, si peu évaluée.
Juste avant le crépuscule, le retour fut plus difficile, je n’avais pas mangé depuis la veille.
De la sorte, je gardais la ligne.

Cela ne dura pas car la vie rurale n’a rien à voir avec la citadine. En dehors du travail où je finissais d’user chemises et blazers venus du continent, changeant de couleur tous les jours pour le plus grand plaisir des enfants qui s’amusaient à deviner quel coloris je porterai le lendemain, c’était la débraille. Une fois rentré chez moi, je faisais relâche totale jusqu’à étonner les oiseaux qui me prenaient pour un épouvantail. Ils se sont habitués avant de comprendre que ce n’était point mon intention, de les effrayer. Bien au contraire, j’étais un paisible campagnard, content de se retrouver dans son biotope de naguère. Comme par mimétisme, en troquant le stylo pour la pioche, le physique se transformait aussi, s’éloignant de plus en plus de toute élégance. C’est en regardant les photos et en passant devant les baies vitrées que je remarquais cette « évolution » toute paysanne, tant dans l’apparence que l’embonpoint.
J’ai compris assez tôt la signification de l’interrogation d’un ami qui venait d’apprendre que je vivrai au village sans plus jamais retourner dans la région parisienne. Il m’avait ainsi questionné, puis prévenu :

–      Tu vas vivre ici définitivement ?
–      Oui !
–      Tu as des costumes ?
–      Je crois qu’il m’en reste quatre.
–      Eh bien, tu peux les jeter, tu ne les mettras plus jamais.

Il avait bien raison. Les mites se sont occupé de l’affaire. Ils doivent encore traîner dans un coin de l’armoire, légèrement ajourés pour aérer les doublures. Je suis certain que les boutons sont désormais très loin des boutonnières et porter les vestes béantes n’est sûrement pas du plus bel effet, non plus.

S’il reste un peu de place dans le cercueil, cela me fera un bon molleton et un bon souvenir du temps où j’étais là-bas.
Sous terre, encore plus bas que là-bas, on a sans doute d’autres préoccupations.
La découverte de la vérité : est-il ou n’est-il pas ?
Dans le cas d’un néant, il restera « l’ambition » post mortem d’intriguer un archéologue dans un futur lointain… Il étudiera l’habillement d’un très vieux « Toutancanon » ! 🙂
Canon ! canon ! J’espère bien lui bombarder les méninges…

4 Comments

  1. Sûr que le fantôme du Simonu maître de l’Arastaquie viendra hanter les lieux 😉

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