Un lustre et demi à deux lustres ?.

Depuis le temps que j’en parle chacun connait ma marotte, la notion de temps.

Le temps qui vieillit.

Je n’ai cessé d’évoquer cette prise de conscience de la fuite du temps, non pour pleurer et m’en plaindre, mais bien au contraire pour mieux profiter des minutes et des heures qui passent. En perdre le minimum, ne gaspiller que ce qu’il me plait de gaspiller car le gaspillage renforce les contrastes. Si ce gaspillage est volontaire et fait partie du mode vie.
Carpe diem, dit-on.

Lorsque j’ai le sentiment d’avoir perdu mon temps en errances inutiles, d’avoir perdu une bonne dose de plaisir qui s’offrait à moi, je bisque.
Bisquer, ce verbe qui émane encore d’une âme enfantine.
Puéril mais frais.

Si le corps vieillit, je veux conserver l’esprit vif, neuf, qui pense avoir devant lui encore de beaux jours à vivre, à faire le fou que l’on croit sage, à cabrioler dans la vie comme le chevreau insouciant, ignorant qu’il deviendra vieux bouc un jour, ou totalement chèvre.

Le temps qui paresse.

Tous ces sentiments n’empêchent pas la lucidité. La concomitance de toutes ces consciences, du « vouloir être » et de  « l’étant », sont de connivence pour donner au plaisir toujours une longueur d’avance sur les autres ressentis. Je m’efforce de vivre ainsi.
« M’efforcer » est impropre car je ne fais aucun effort, c’est une nature première plus qu’une seconde nature. Plutôt entier que morcelé, mes facettes sont une diversité dans la culture des jouissances, bien plus qu’un effet caméléon destiné à tromper ou se leurrer.
Il est toujours difficile de trouver le mot juste, celui qui ne trahit pas, le mot fidèle aux sentiments.

Parfois, des vocables me viennent à l’esprit.
Des mots longtemps égarés ou en attente d’une opportunité pour réapparaître.
Ils n’ont pas un usage courant. Trop connotés à un contexte précis, ils se font rares et s’effacent de la mémoire en se perdant dans le temps.
L’autre jour, quelqu’un m’accompagnait dans mes gambades en quête d’une photographie, il désigna un arbre : « Tu vois là, il y a un chêne blanc. »
Aussitôt un mot remonta à la surface et je lui répondis instantanément : « C’est un chêne marcescent ». Ce fut l’occasion d’évoquer les feuillages caducs, persistants ou marcescents. Ce dernier terme signifie que les feuilles meurent mais restent sur l’arbre et ne tombent qu’au moment de la repousse des bourgeons nouveaux à la fin de l’hiver…
On le dit pubescent, le plus souvent, à cause de son duvet blanc sur la face inférieure de ses feuilles.
Le profane qui ne connait rien à la botanique pense que le végétal est inerte en voyant sa parure mortuaire perdurer jusqu’au printemps suivant lorsque les nouvelles pousses déshabillent le chêne de ses anciennes feuilles mortes. La marcescence n’est pas un phénomène courant.
Suis-je marcescent aussi ? Vieillis-je sans me départir des effets de l’âge et reste vif comme la braise sous la cendre ?
Dans le texte intitulé « La débraille », je me découvre ainsi et ne me régénère extérieurement qu’en allant à la ville comme l’arbre à la belle saison ou l’arbre de Noël paré de fioritures.

Le temps qui s’ennuie

Hier, je m’étais assis dans un coin au pied d’un noyer, le regard tourné vers l’horizon, perdu, très loin d’ici. Egaré dans ces endroits qu’on ne connait pas mais qu’on imagine à sa convenance.
Je me projetais dans un paquet d’années et j’ai pris conscience que je ne pouvais plus raisonner en décennies.
Désormais, pour mettre à jour mon échelle du temps, je réalisais que mon nouvel étalonnage s’exprimerait en lustres, c’est-à-dire en périodes de cinq années. Au maximum, il doit me rester deux lustres à vivre, en étant très optimiste, c’est-à-dire une décennie. Tant que « décennie » figure dans l’hypothèse, c’est rassurant, alors je m’octroie un minima avec un lustre et un ou deux ans de plus pour m’inventer le frisson. C’est ma manière d’anticiper sur le temps, de me donner une marge et de cabrioler comme je peux, dans cette perspective. J’ai de quoi y mettre plein de joies mais ce n’est pas moi qui décide tout seul. Ma fourchette de vie est juste un repère possible mais demeure quelque peu utopique, en tous cas purement virtuelle pour satisfaire un souhait.
Vivre, c’est croire à toutes les folies, s’imaginer un réel et rêver l’impossible.
L’improbable, plus hésitant que l’impossible, n’existe plus, balayé, envolé. Il devient espoir, c’est plus agréable de penser ainsi.

Le temps qui fuit.

Hélas, ce n’est qu’une vue de l’esprit qui cherche à gouverner un peu, qui donne l’illusion d’une maîtrise. La vie est ainsi faite, nous ne sommes qu’une gouttelette prête à s’évaporer au gré du temps, ou d’un coup de chaleur.
Un nuage de vapeur surgit lorsque l’envie lui prend.
Une goutte s’envole au lieu de choir en lâchant prise.

En réalité, tout cela n’est que jeu de la nécessité. Si nous avions la possibilité d’analyser toutes les données qui convergent, il serait facile de prévoir les embûches d’ici-bas. Les prévoir mais pas de les éviter toutes.

A quoi bon ?

J’ai donc choisi l’idée de jouer avec le temps. Je sais qu’il s’en fiche, lui ne joue pas. Son métier c’est de tracer inexorablement son chemin comme un rouleau compresseur aveugle, sourd et muet.

Alors, je continue à m’amuser, le temps se raccourcit… je lui tourne le dos et file à reculons en espérant éviter celui qui nous guette en silence, qui trouble les esprits et vole les consciences.
Je préfère m’en aller en totale lucidité.

C’est maigre un lustre, ça court vite. L’heure viendra rapidement, plus vite qu’on ne le pense,… puis, comme un effet de surprise :
– Déjà ?
– Oui, déjà !

Cela voudra dire qu’il est bien trop tard…

Je file vagabonder, il est encore temps !

Ce temps qui rougeoie et laisse choir quelques feuilles sur une table…

4 Comments

  1. « Suis-je marcescent aussi ? Vieillis-je sans me départir des effets de l’âge et reste vif comme la braise sous la cendre ?  »
    J’aime beaucoup l parallèle, toujours une pointe d’humour dans le sérieux.
    Et puis les photos, de toute beauté !

    1. Je conçois la vie ainsi.
      Il ne sert à rien de se voiler la face, alors je préfère aller vers cette fin inéluctable avec humour, dérision parfois, sans me priver de vivre intensément.
      Merci Al pour votre inlassable compagnie 😉

  2. Bonjour ,
    Ce texte à quelque chose de profond ,aussi léger soit il par les mots . profondeur de l’âme et de l’esprit conjointement , ce don de prise de conscience à l’âge mûre animé d’une ‘énergie juvénile , fait la beauté de vos écrits .
    Excusez moi je ne suis ni critique ni juge , ni ne veux être pédante , c’est juste le coeur qui parle ,les mots sont venus tous seuls d’ un stock lexical trop souvent inaccessible .
    Continuez nous attendons un recueil de vos merveilleux textes , celui ci me touche , toutes mes félicitations il accroche , il accroche .

    1. Cela me touche Passasaccu.
      Lorsque le partage est ainsi ressenti, c’est que le message est reçu.
      Je suis heureux chaque fois que l’écrit passe d’une âme à l’autre avec la douceur et la simplicité que je cherche à véhiculer.
      C’est promis, après ma rencontre de demain avec les lecteurs, je vais m’y atteler sérieusement. J’envisage un ouvrage léger mais profond, un livre d’espoir à travers les duretés de la vie… et un autre suivra si un éditeur veut bien de moi 😉
      Merci, bonne après-midi. 🙂

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