Lichen.

DSC_0011Gaëtan, un compagnon de chroniques dans lemonde.fr puis ami sur Facebook, écrivait la réaction suivante sous une photo que je venais de publier : « Vraiment vous faites bien de nous rappeler que l’humble lichen mérite qu’on s’y arrête. » Je répondais : « Et son fonctionnement symbiotique est intéressant. A la fois algue et champignon, le lichen raconte une histoire qui rappelle que toutes ces « petites vies » recèlent des trésors de connaissance… c’est à quoi je pense en me baissant pour les regarder exister. »

Cet échange rapide, m’est revenu à l’esprit lorsque je lisais dans la presse que l’école française était à la traîne dans le « Top 65 » mondial des réussites scolaires. La France ne tient plus son rang en matière d’éducation et d’instruction. Il semblerait, en outre, que l’esprit scientifique et notamment l’esprit de déduction, l’esprit mathématique soit décadent dans les petites têtes et même dans les grandes. Cela ne m’étonne pas. L’école ne sait plus s’occuper de ses affaires fondamentales, elle court après tout ce qui bouge à un moment où grand besoin est de se construire un jugement, un esprit critique. Un regard sur les choses qui ne se structure pas à la sauvette. Il nécessite de nombreuses années de confrontations avec la réalité, d’expériences et de réflexion distanciée.

L’institution devient l’avaloir de tout ce qui surgit dans le monde et se nourrissant de tout, se trouve victime d’une boulimie. Une « omnivorie* » censée lui construire une tête bien faite ne lui offre même pas une tête bien pleine… tout juste la tête ailleurs.

Je me souviens d’un jeune professeur des écoles, bac plus quatre, qui soutenait une explication digne d’un illuminé. Aucun recul, aucune analyse, que du premier degré, pire encore, la répétition à la virgule près de ce que lui avait dit sa grand-mère. Elle ne m’écoutait pas et disait : « Moi, je crois ce que dit ma grand-mère » Et même lorsque je lui faisais remarquer qu’elle avait utilisé le bon verbe,  croire, dans sa phrase, pour lui signifier qu’une croyance n’avait pas la force d’un savoir… elle n’en démordait pas. Le rapport trop affectif lui interdisait de comprendre que l’expérience de sa grand-mère n’était que le fruit de superstitions acquises sans aucun fondement objectif. Surprenant pour qui devait dispenser un savoir et faire preuve de recul pour comprendre l’autre ! Peut-être une victime de « l’omnivorie » qui n’a jamais eu le temps d’installer son jugement ?

Du temps de mon activité, je faisais remarquer que l’école c’était la vie et non la vie l’école. J’évoquais l’idée de ne jamais perdre de vue qu’on y faisait l’apprentissage de la vie en étant un peu en retrait, à l’abri. Un état nécessaire pour des esprits encore fragiles, en pleine construction. Puis on a cru bon que tous les travers de ce monde devaient se discuter à l’école. Une école qui n’en peut plus, n’a plus le temps, la place ni la conscience d’installer ses fondamentaux.

Alors, quel rapport avec le lichen ? Lorsque j’ai pris ce cliché, je me suis souvenu des cours de sciences naturelles. Le soleil déclinait, la lumière faisait ressortir le jaune soufre, l’mage me semblait belle… En même temps, je pensais que toute une vie, curieuse, se jouait devant moi. Une symbiose entre un champignon et une algue, l’un assurant humidité et nourriture, l’autre fabriquant la chlorophylle… Toute une aventure, aussi,  par son triple système de reproduction, végétative, asexuée et sexuée. Il n’y a de science que du caché que seul un esprit scientifique est capable de détecter.

J’enseignais, à tout moment, cet état d’esprit. Mes enfants en savent quelque chose. Même et surtout pendant les repas, je les mettais en garde contre les conclusions hâtives. Explorer les différentes pistes même si l’une s’impose à vous, pour ne choisir qu’après analyse et non sur un coup d’impression ou de croyance. Je ne pense pas les avoir ennuyés ni traumatisés. Je savais quand je devais arrêter mes raisonnements sans support écrit, tout en mental comme une démarche socratique… parfois, ils m’en redemandaient.

Ce n’est pas une prise tête pour moi. C’est le fruit d’un apprentissage, la formation d’un état d’esprit qui fonctionne, par la suite, de manière automatique sans effort.

Je me méfie de ces premières impressions qui vous plongent dans une vue univoque presque évidente comme de cette image qu’on vous tend en témoignage et n’est que manipulation. Trop de gens, emportés par un élan pseudo-humaniste sans rien connaître du fond et de la réalité des choses se font piéger dans leur innocence profonde. Ce sont ceux-là qui deviennent les plus farouches défenseurs d’une cause dont ils ne connaissent ni tenants ni aboutissants. Les mêmes comportements en toute connaissance de cause c’est-à-dire d’analyse et d’objectivation sont infiniment plus respectables et louables. L’humanisme n’est pas une notion qui surgit, comme ça, lorsque l’envie vous prend ou lorsqu’on vous interpelle occasionnellement.

Ma démarche est empreinte d’une éthique fondée sur le respect de l’autre.

Je suis à l’autre bout de la vie. La mort qu’elle porte en filigrane comme une épée de Damoclès, mais aussi comme un exhausteur du goût de vivre pleinement ses émotions, chemine avec moi. Elle est compagne de vie, compagne voleuse, je suis prévenu, je la garde à l’œil et compte profiter pleinement du peu de temps qui me reste sur le sentier des parfums et des émotions de toute nature…      

*Omnivorie. Ce terme n’existe pas, je l’ai inventé pour signifier l’idée de voracité incontrôlée comme vouloir se nourrir de tout sans rien digérer et sans pause pour l’assimilation.

2 Comments

  1. Vous lisant au sujet de l’école me revient un vieil adage qui coïncide quelque peu : « Qui trop embrasse mal étreint ». Effectivement l’école d’aujourd’hui en fait trop au primaire et secondaire et donc le fait mal pour la plupart des enfants me semble-t-il, jusqu’à les rebuter.
    Visiblement nous sommes l’un et l’autre sensibles au parfum des humbles choses et le savoir accumulé nous offre parfois le recul qui permet de les gouter plus amplement. Effectivement c’est un bienfait à l’heure où ne pouvons plus sauter d’une pierre à l’autre pour franchir les ruisseaux. Ceci compense cela avec bonheur.
    Mais Simon, il doit bien rester une part d’enfant en nous, avec ses emportements, ses confusions entre rêve, croyance et réalité, avec ses colères et enthousiasmes et le sentiment d’immortalité qui fait tenter de soulever des montagnes à certains !
    A vous relire.

    1. Bonjour Gaëtan.
      Une vieille cousine disait « qui trop embrasse manque le train ». Voulait-elle dire que des enfants restent sur le quai à force d’embrasser et de brasser quantité de sujets à peine effleurés en oubliant de construire l’essentiel ? On pourrait le croire.
      Trêve de plaisanterie pour le reste, hors les sauts sur les rochers, tous les plaisirs sautent encore allègrement. Merci et bonne journée.

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