Genrage, dégenrage… J’enrage !

C’était en 2096.

Cela durait depuis des années.
Une évolution lente avait embrouillé les porteurs de castagnettes et celles qui en étaient privées…

Tout allait basculer avec l’affaire Sorine Fleurette Marguerite DUPONT. Cette brunette « auburnisée » aux yeux de jais ne supportait plus son nom de mariage. Très féminine et très féministe, elle rêvait d’un matronyme. Sorine Fleurette Marguerite DELAVOUTE lui plaisait assez. Hélas, comme elle avait pris l’habitude de coupler son nom de jeune fille sur les réseaux sociaux, l’association était du plus mauvais effet. Son père s’appelait PLANTAIR, les deux noms féminisés produisaient DELAVOUTE PLANTAIRE. En poussant jusqu’à ses aïeux maternels, ce n’était guère mieux puisque BALLERIN débouchait sur BALLERINE.
On pataugeait avec les ripatons et ce casse-tête chinois finit par lui remettre les pieds sur terre.

Cette guerre des genres avait contaminé les hommes avec le temps.
Les fruitiers et les animaux commençaient à s’interroger aussi.
Frémissements dans les vergers et les niches.

Par exemple M. DELACHAISE, chercha dans un premier temps à s’appeler DUFAUTEUIL. N’appréciant pas trop le côté bourgeois, il préféra DU TABOURET moins connoté que DU STRAPONTIN.

Pour l’instant, la vigne qui produit surtout du masculin, muscat, chasselas, grenache… rarement perlette, ne voulait rien changer. Le prunier avait le même sentiment et protégeait ses filles. Mirabelles, reines Claude d’Oullins ou vertes et quetsches jutaient à merveille…
Dans le règne animal c’était plus compliqué. Le mâle girafe souhaitait supprimer le « e » final, la femelle rhinocéros devint la rhinocérosse. Avec le temps, elle s’aperçut que le côté mauvaise jument, méchante de surcroît, ne lui valait que sarcasmes. Bref la révolution s’était engagée dans la savane comme dans les champs et les forêts.

En revanche, Le verrat et la truie, le lapin et la lapine, le rat et la rate, la hase et le lièvre s’en donnaient à cœur joie, produisant beaucoup, dans un équilibre mental parfait.
Le pou et la poue, qui avait souhaité féminiser son nom, vivaient en harmonie parfaite dans les chevelures abondantes. Les totos qui ne se souciaient pas encore de leur genre proliféraient de manière fulgurante même en passant par lentes.
Ce fut un peu plus compliqué pour le lézard. La lézarde refusa toute connotation avec les fissures sur les murs. Le compromis fit bon effet avec la disparition du « d » final, lézars et lézares vécurent heureux et heureuses sans provoquer bazar.

Une curiosité dans le monde des « choses » avait fuité, la pompe à vélo souhaitait devenir pompe à bicyclette. Les objets inanimés s’en mêlaient en révélant leurs états d’âme, le monde était devenu fou.
L’année 96 du vingt et unième siècle fut une révélation, 9 et 6 se tournaient le dos, il n’en fallut pas plus pour qu’ils se regardent en face et l’année devint érotique avec la culbute de ses deux derniers chiffres.
Dès lors, dans les contrées et les familles, on ne compta plus les ribambelles d’enfants aux matronymes et patronymes fleuris…

Ah, j’allais oublier, le nœud coulant suspendu à un gibet fit grand scandale en refusant de pendre.
Devenu humaniste convaincu, contaminé par l’anthropomorphisme ambiant, il finit par se trancher le collet et git désormais au pied de son équerre.
Triste nouvelle, l’expression corse qui sévissait durant notre adolescence dans les quartiers, à chaque prise de bec : « Va e tirati capiu !* » devint obsolète sur la champ et fut même interdite sous peine…
Sous peine de quoi ?
On n’en finissait plus, seuls l’absurde et l’inepte vivaient heureux, ils pouvaient changer de genre sans changer d’allure, selon qu’ils accompagnaient il ou elle au bal des dérangés.

Cela parait totalement loufoque mais c’est ainsi que se terminent les histoires farfelues, totalement abracadabrantesques.

Comme aurait pu s’écrier Dali, yeux écarquillés et moustaches tremblantes dressées vers le ciel : Les choses chooocolatissiiiiiimes finissent toujours par fondre dans la bouche.

Ceci est une légende du futur, toute ressemblance avec quiconque vit aujourd’hui sur cette planète, avec ou sans jugement, n’est que pure coïncidence.

*Va e tirati capiu ! = Va te pendre !

Chaud ! Chaud ! Cacao !
Grappe de raisin desséché.
È pericoloso sporgersi !
Il est dangereux de se pencher !

10 Comments

  1. Ce texte est révisé, remis au goût du jour.
    En 2017, année de sa sortie sous un autre titre, il était totalement boudé.
    Seules deux âmes sensibles à l’humour avaient osé poster commentaire :

    Chantal « Digne d’un auteur en grande forme ! Qui met des formes aux formes et jongle tout azimut dans un joyeux capharnaüm…
    Bel exercice de style ! Chapeau ! »

    et Stefanina « Jubilatoire et salutaire, cher Simon, voici un texte dont la lecture devrait être recommandée par la médecine et les médecins (au féminin singulier et au masculin pluriel !!). »

  2. Je plussoie les deux premiers commentaires, excellent et plein d’humour Simonu 🙂

    1. Merci Al ! 😉
      C’est complètement givré comme disait Lio des glaces Pilpa, mais qu’il est agréable d’être givré et chaud à la fois !

  3. Va bè, Simonu ! un peu de fantaisie n’a jamais nui !!! et celle-ci est tellement joyeuse !
    grazie

    1. Ah ! Il ne me quitte jamais, j’en fais usage équilibré.
      Là, il m’a totalement échappé !
      Et j’ai rit aussi en l’écrivant, si quelqu’un m’avait vu, il m’aurait pris pour un fou.
      Je le suis peut-être, allez savoir ! 😉
      Bon WE Gys !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *