Melle Nicoli.

Il n’en faut pas beaucoup pour voir surgir le passé de la sorte.
On peut se poser la question : Comment est-ce possible ?

C’est tout simple, les choses de la vie, même les plus anciennes, jaillissent à la faveur d’une image, d’une évocation impromptue ou d’une rencontre.
Dans ce cas précis, il s’est agit d’une rencontre.
Mon ami François déboulé du passé, presque sans prévenir, m’a rendu visite. Cela devait faire bien plus d’une cinquantaine d’années que nous n’avions passé temps si long, ensemble. On s’était vu une petite heure, durant ce long silence, guère plus.

Nous avons eu beaucoup de temps pour nous remémorer le passé, l’ami est arrivé avec une bonne réserve de vieilles photos.
Nous avons joué à « Tu te souviens ? »

Oui, je me souvenais, mais pas de tout le monde car nous n’avions pas exactement les mêmes fréquentations. Certaines personnes lui étaient plus familières d’autant qu’il était l’auteur de bon nombre de ces clichés. François était notre reporter, l’envoyé spécial pour immortaliser le temps lycéen.

Nous avons passé une agréable après-midi, ponctuée de sourires et presque de regrets aussi :
« Ah, regarde comme nous étions jeunes, pimpants et insouciants ! »
Ce fut un festival de souvenirs et nous aurions pu prolonger ce retour dans le temps si nous en avions eu le loisir.

Et Melle Nicoli ?
Elle a surgi dans ma mémoire bien après le départ de mon ami. Quasiment comme une évidence.

C’était notre professeur d’histoire. Nous avions la chance d’avoir des profs accomplis qui ont beaucoup contribué à former notre esprit critique bien plus que celui de critique. Ils nous ont appris à tourner sept fois et bien plus, notre langue dans la bouche avant de parler. Le recul, l’argumentation, la tolérance presque la sagesse. C’étaient des profs !
Des profs d’un autre temps.

Melle Nicole était une femme douce, attentive à ses élèves. Elle cherchait toujours à savoir si nous avions bien compris ses cours et ses prolongements. Elle s’attardait avec nous, souvent individuellement, lorsqu’elle n’avait pas à courir vers une autre salle.
Sa vue baissait inexorablement, elle nous regardait avec sa main au-dessus des sourcils comme l’aurait fait un sioux en explorant l’horizon.

Je vais vous raconter une anecdote qui la situera telle qu’elle était vraiment.

Un jour, dans sa salle située dans un préfabriqué, elle venait de faire l’appel, tout le monde était présent.
Un quart d’heure plus tard, alors que le cours était bien avancé, on frappa à la porte.
Entrez !
Un autre François, pas celui qui m’a rendu visite, se dirigea vers le prof et présenta ses excuses pour son retard.
Un peu perdue, Melle Nicoli montra son désarroi, elle avait fait l’appel et tout le monde était présent.
Bref, l’affaire en resta là, en suspens.
François était sorti par la fenêtre et ce faisant, il avait été vu par un agent d’entretien qui s’était empressé de prévenir le surveillant général. Grosse affaire, conseil de discipline et mise à pied pendant une semaine.
Notre prof ne l’entendait pas de cette oreille, en aucun cas, elle ne voulait que son élève fut mis à la porte sur délation. Elle se déclara responsable de sa classe devant les autorités administratives et s’opposa farouchement à cette exclusion. Ses collègues l’ont soutenue et notre François fugueur/farceur s’en tira avec les gros yeux du surgé.

Notre chère Melle Nicoli faisant montre de sincérité et d’authenticité en toute circonstance devint la protégée de tous. Les élèves s’étaient réunis pour la respecter, respecter ses cours.
Tout le monde se tenait à carreau depuis lors et qui faisait entorse au pacte était immédiatement rappelé à l’ordre.

L’année d’avant, quelqu’un avait profité d’une estafette – élève qui porte les nouvelles administratives de salle de cours en salle de cours – pour glisser une feuille facétieuse dans la pochette de service.
Parmi les missives officielles, celle-ci annonçait un concours ouvert à tous les élèves, un voyage était offert au gagnant tiré au sort parmi les bonnes réponses.
Voici le son contenu :

« Pourquoi quelqu’un qui saute du haut de la Tour Effel voit ses cheveux chuter après lui ? »
La réponse était au verso :
« Parce que Pétrole Hahn ralentit la chute des cheveux ! »
Notre prof a bien ri !

J’ai rencontré Melle Nicoli à l’occasion d’un concours de boules dans son village Altagène.
Quelques années après sa retraite, elle avait vieilli assez rapidement, totalement aveugle, elle m’a reconnu à la voix.
Elle n’avait pas oublié ses élèves et nous ne pouvions oublier une si belle personne.

Je la salue aujourd’hui.

A droite le François « passe fenêtre ».

Images détenues par Pauline Secondi (Guegan), relayées par François Mancini.

3 Comments

  1. Houla!!! Un bond de plus de 5O ans en arrière…
    Il y en a d’autres comme cela ?
    Au passage, bonjour à François.

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