Ce fut un jour où tout allait de travers, il y a fort longtemps.
On n’oublie pas les jours de galère, c’en était un pour moi.
C’est encore une vieillerie mais cela permettra de comprendre qu’il y a toujours un espoir quelque part, il suffit de le débusquer puis de l’exhiber comme un étendard.
J’étais parti à Tarascon pour les « trois jours » qui précèdent tout départ à l’armée. C’était le lieu de passage obligé pour tous les conscrits du sud de la France.
Nous étions toute une bande disparate dont le plus gros du contingent venait de la ville. Nous n’étions que deux ou trois unités venues du rural.
La matinée destinée aux tests de capacités intellectuelles fut une catastrophe pour moi. La salle immense dans laquelle nous étions, constituait pour mon audition défaillante un grand désert. Je n’entendais rien des consignes orales déversées avec un sens pédagogique de hussard, à la cantonade.
Certes nous n’étions pas dans une classe pour apprendre des choses, il fallait détecter les plus vifs, les plus habiles, faire un tri sévère pour placer chaque soldat à son niveau de culture ou de savoir.
Je n’ai pas vu mon dossier mais j’imagine facilement que j’ai dû être classé parmi les débiles légers, débile lourd m’eut écarté définitivement de tout service militaire.
Dans mon for intérieur, j’étais miné, fort marri de n’avoir pu m’exprimer à mon niveau réel, c’est toujours pénible, voire déprimant, de se savoir jugé de la sorte.
L’après midi, nous avions été placés devant un stand de tir fictif, nous devions nous mesurer entre futurs soldats, arme factice à la main.
Il s’agissait de faire tomber une cible, à plusieurs reprises, sur un temps donné. Un sanglier débouchait vivement, il fallait l’abattre, se relevait, repartait, bref, une bête coriace aux multiples vies.
Au classement final, je me trouvais en tête avec près de 2000 points de plus que le deuxième. Une affaire incroyable, on aurait pu m’envoyer directement aux jeux Olympiques sans passer par la sélection.
Tous mes concurrents étaient admiratifs et sifflaient d’étonnement.
Vous imaginez, si je prenais une fière revanche en me montrant capable de sauver le pays, arme à la main.
C’était tout de même mieux que de réussir un exercice sur papier, quoique, on a besoin de tout le monde.
Ce fut donc mon moment de gloire.
On me tapait sur l’épaule, on me questionnait, quel tireur d’élite ! s’exclamaient certains.
En réalité, je n’avais aucun mérite puisque je rivalisais avec des urbains qui n’avaient jamais vu un fusil de leur vie et tiraient à vue sur n’importe quel leurre qui se présentait. Si je n’étais pas habitué au sanglier, j’avais une expérience en la matière.
Mes premières armes, je les fis avec « U botta vinti » de mon bisaïeul (arrière grand père). Je suis bien incapable de traduire son nom en français. C’était un fusil à canon très long, presque interminable, on aurait pu tirer à bout touchant, c’est une demi-boutade seulement. 🙂
Un fusil à broches c’est à dire avec des chiens frappant une sorte d’aiguille qui percutait l’amorce de la cartouche pour provoquer l’explosion et la projection des plombs. Des cartouches achetées vides chez Casachinu (venues de Manufrance à Saint-Etienne) dont nous assurions la charge en poudre bourrée et en plombs fondus à travers une passoire. C’est compliqué à expliquer, il aurait fallu faire appel à Fernand Reynaud pour le côté comique. C’est avec cette arme que j’ai touché ma première grive. Nous chassions, nous pêchions pour manger, car à part le cochon qui nous nourrissait une bonne partie de l’année en charcuterie, nous vivions comme nos ancêtres chasseurs/pêcheurs sédentarisés.
Avec mon expérience, j’avais remarqué que le sanglier surgissait toujours au même endroit, inutile de le suivre lorsqu’il filait. J’avais un point de repère et je l’attendais de pied ferme. En fait, c’était une arnaque, un jeu facile pour moi.
On m’avait pris pour un Michel Carrega plusieurs fois champion du monde et olympique de tir.
Encore un Corse dira-t-on !
J’avais donc un peu d’expérience et n’affrontais que des Tartarin, cela suffisait largement pour en faire mon moment de gloire, à défaut de jour entier.
Des Tartarin ? Normal, nous étions à Tarascon !
A quoi tient une réputation, pas grand chose, bien souvent !
L’image en titre, c’est du pipeau, « L’étonnement d’une rose blanche » 😉
La rose est parfaite en illustration !
Dire que si vous aviez pu passer pour débile profond, vous n’auriez pas eu tous ces ennuis pendant le service… Mais l’histoire que vous racontez ici est savoureuse, pleine d’autodérision et d’humour.
Merci Al, je crois qu’on s’est définitivement compris.
Bonne journée.
J’ai pris plaisir à lire cette histoire et là encore vous avez éveillé un sourire.
Bonne soirée Simon 🙂
Pourvu que ça dure Gys, c’est important le sourire. 😉
C’est ma nature, je ne peux raconter, évoquer, sans teinter d’humour, ça va de soi enfin de moi, je veux dire. Vous voyez, ça m’échappe à chaque fois..
Bonne soirée.