La promesse.

J’aurais pu écrire aussi, les promesses car, en fait, il y en avait deux et elles étaient liées.

Lorsque je suis rentré définitivement dans ma région, je m’étais juré de ne plus la quitter. De ne plus retourner sur l’Hexagone. Le bateau, l’autoroute et surtout l’avion, je n’en voulais plus. Trop de fois, entre Versailles et Lévie nous avons frisé la catastrophe. Un camion, passant sur un pont qui enjambe l’autoroute et déverse son chargement de rochers juste devant nous, écrasant la voiture qui nous précédait. Le bateau qui prend feu en pleine mer, l’avion dont le train d’atterrissage refuse de sortir, parti pour une longue promenade au-dessus d’Ajaccio… Je n’avais plus envie. La mort me semble plus douce chez moi, même si elle guette comme ailleurs et peut m’emporter assis dans un fauteuil. J’ai fait le choix de mourir ici dans mon environnement familier… Allez savoir, la maladie peut me conduire, dans l’urgence, vers un hôpital marseillais… un dernier pied de nez à ma volonté pour donner raison à Il ne faut jamais dire : « fontaine, je ne boirai jamais de ton eau ». 

Pourtant, j’ai enfreins ma règle une fois. C’était pour aller revoir mes beaux-parents que l’âge accompagnait joyeusement. Ils se faisaient vieux en filant vers les quatre-vingt-dix ans dans la chaleur de leur petite maison. C’était, pour eux,  le temps des souvenirs et l’attente. Une attente sereine, contents d’avoir bien profité de la vie, sans aucun regret. Malgré une autonomie défaillante, de plus en plus, ils repoussaient l’éventualité d’aller dans une maison de retraite. Ils étaient soudés et cet état fusionnel donnait encore du plaisir à leur vie. Ils se blottissaient l’un contre l’autre en espérant partir ensemble. En les quittant cette fois-là, je leur annonçais que je ne retournerai  plus sur le continent. C’était la dernière fois et je leur fis la promesse de faire venir chez moi celui qui survivrait à l’autre.

Quelques années ont passé, leur fille allait les voir régulièrement. L’avant dernière fois, c’était la dernière pour son père. Il avait donné son corps à la science, la science n’en a plus voulu. Sans concession dans le cimetière de son village, il a fallu agir dans l’urgence après ce refus inattendu et soudain. Il fut incinéré et ses cendres ont été éparpillées autour d’un olivier, là-bas tout près de l’incinérateur. Tout s’est passé très vite à cause de cette  autre promesse non tenue. Au fond c’était son souhait, quand il faut y aller, allons-y, et inutile de s’épancher davantage. Il voulait partir sans fleurs ni couronnes et sans déranger les gens. Il a eu le temps de dire : « Ma fille, j’ai bien vécu, tu as été exemplaire, occupe-toi de ta mère… » Ce furent ses dernières paroles.

Nous avons recueilli mamie. Elle a terminé ses jours dans notre village de l’autre côté de la Méditerranée. Elle était très heureuse de venir le dimanche à la maison. Elle pénétrait dans la salle presque en se précipitant, un rapide bonjour à la cantonade puis s’asseyait dans son fauteuil disant à chaque fois « Que je suis bien ici, c’est le paradis ! » Elle était soulagée, apaisée de se trouver parmi nous mais dès que la fin d’après-midi approchait, elle demandait toujours à repartir chez elle. A cinq minutes de chez nous dans son studio de la maison de retraite de Lévie.

Un jour, elle est partie. Sa fille était à ses côtés.

Elle avait donné son corps à la science, aussi. Elle souhaitait s’en aller sur la pointe des pieds comme on l’aurait emportée dans un CHU, sans doute.
Nous avons respecté sa volonté en l’accompagnant, seuls, ma femme, moi et notre fils à sa dernière demeure sous le cyprès. Notre bru nous attendait cinquante mètres plus bas avec sa fille de deux ans. Deux touristes en visite dans le cimetière, probablement gênés, n’ont pas osé passer devant nous. Ils ont suivi à quelques mètres cette mise en terre devant si peu de personnes. Une première pour eux et pour nous. Une cérémonie sobre, qui n’en était pas une. Un au-revoir comme elle l’avait convenu. Jamais, le cimetière du village n’avait connu une si maigre assistance devant un cercueil… Yves et Yvonne sont partis comme ils l’avaient souhaité.

 

Sur la bosse d’une fosse encore fraîche trône une pierre tombale toute simple : « La mort vous a séparés, cette pierre vous réunit, ici, dans le souvenir ». Ils sont là tous les deux. J’ai levé les yeux au ciel et j’ai pensé très fort : « Yves, j’ai tenu ma promesse ! »

Je n’aurais pas dû, j’avais promis… il le savait et me faisait confiance.

2 Comments

  1. Oui très émouvant,c’est quand même une belle fin de vie,de s’en aller comme on le souhaite,malheuresement ce n’est pas comme ça pour tout le monde,(je pense a la maladie)mais bon il ne faudrait pas trop penser, et vivre ce que l’on a envie de vivre sans se poser de questions,comme dit mon époux chaque jour est un jour de gagner.
    c’est toujours très agrable de vous lire,même les textes les plus tristes ne le sont plus

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