Voici un texte sinistré reversé de l’ancien blog dans celui-ci.
Une amitié.
L’histoire exacte de l’épisode de l’hiver 1956 figurera dans le livre qui sortira bientôt.
Nous étions loin de savoir précisément ce qui s’était passé, je laisse la totalité du texte en l’état, l’histoire relatée est très approximative. Louis, encore jeune enfant à l’époque, n’en tenait que des bribes et de fausses infos.
Si j’étais un oiseau, je serais sans doute un pic épeiche. Non pour ses couleurs mais pour sa manie de frapper le tronc des arbres afin d’alerter puis déloger les fourmis dont il raffole. Moi, je frappe le clavier de l’ordi avec la même frénésie pour récolter des mots et les gober tout crus. C’est cette première idée qui m’a cogné l’esprit en ouvrant cette page dont le contenu est très inattendu. Mais j’aime bien passer par les contrastes de la vie, ce sont eux qui la nourrissent.
Ce midi-là, j’étais à table avec mon ami Louis. C’était jour de tripettes, exprès pour lui. Ses yeux riaient tout seuls en découvrant le plat, il s’exclama : « Hè ! Hè ! Faci un pezzu chi u n’aghju maghjatu tripi ! » (Ça fait un bail que je n’ai mangé tripes !)

J’avais préparé à son intention, des tripes de veau. Les tripettes du jour, un régal pour les épicuriens que nous sommes. Fondantes à souhait, cuites à petit feu de longues heures jusqu’à obtenir une sauce « poupoutante » à la consistance gélatineuse très éloignée du stade liquide et aqueux. Comme à son habitude, Louis actionna le moulin à sel de plusieurs tours et bien plus celui à poivre, sans goûter au préalable. On aurait dit qu’il avait neigé du charbon dans son assiette tant la poudre noire était abondante. J’avais préparé un peu de sauce piquante à part, et vlan ! encore deux cuillérées de jus pimenté. Il ne restait plus qu’à déguster. Ce que nous fîmes avec un plaisir non dissimulé en dodelinant du chef, à droite, à gauche, comme si nous imitions le balancement doux d’un berceau. Nous opinions du menton en vantant le pied de veau qui s’était fondu dans les tripettes au point de ne plus reconnaître les ingrédients. En cuisinant, je n’oublie jamais de jouer le « monsieur plus » de Bahlsen, c’est plus fort que moi. J’avais innové, en ajoutant un bulbe de fenouil débité en tranches pas trop épaisses, ni trop fines et en incorporant de la gelée – non de la graisse – de canard confit qui traînait de la veille. Je vous assure que cela vaut le coup. Pour le reste, il faut procéder à la mode de Caen ou à la mode de chez nous, en mélangeant vin rouge (ou blanc) et double concentré de tomate…
Je n’imaginais pas que ce déjeuner prendrait une curieuse tournure, nous conduirait tant d’années en arrière pour suggérer un moment douloureux vécu par la famille de mon ami.
Le temps était radieux pourtant, j’ignore comment nous avons pu soudain évoquer « u nivonu di 56 ». L’épisode neigeux de 1956, un volume de poudreuse jamais atteint, est resté dans l’inconscient des gens de notre âge pour surgir de temps en temps comme ce fut le cas ce jour-là.
Je me souviens que les secours étaient parvenus jusqu’à notre porte pour vérifier si tout allait bien. Une étroite tranchée dont ma tête émergeait à peine, avait été creusée afin que les voisins puissent circuler d’un huis à l’autre…
C’est un triste souvenir.
Aucune famille n’échappait au drame des naissances difficiles, c’était quasiment une fatalité, des tragédies inévitables à l’époque. Les femmes accouchaient dans les chaumières, il n’était pas rare qu’un nouveau-né perde la vie bien avant le premier cri. Parfois, les mamans subissaient le même sort.
La famille Volpe, la famille de Louis donc, basée à Mela attendait un heureux évènement. La petite Alexandra s’annonçait mais tout ne semblait pas se présenter pour le mieux, il fallait filer à l’hôpital le plus rapidement possible. Malgré la neige abondante, le docteur Mela homonyme du village mais domicilié à Lévie situé à cinq kilomètres, avait réussi à se frayer un passage avec l’aide de villageois. Très rapidement, il comprit que la naissance ne se présentait pas sous les meilleurs auspices, il fallait du renfort pour dégager la route afin d’évacuer la femme parturiente. L’alerte était donnée et de nombreux hommes de notre village, se mobilisèrent pour déneiger la route. Très vaguement, Louis se souvenait de certains noms : de Tinu le plombier garagiste, d’Antoine de Rocca Serra (Patriarche di a Pignata), du boucher Jean Dominique Andréani, de l’épicier Bastianu Serra, son frère Jean Cataronu, Cameddu le mécanicien, tous s’affairaient pour ouvrir un chemin… Peine perdue, impossible de lutter contre la masse neigeuse qui n’avait jamais connu une telle ampleur, les lois de la nature en avaient décidé autrement. La petite Alexandra ne connaîtra jamais les joies de la vie, elle repose depuis lors, dans le cimetière de Mela.
Nous nous sommes attardés dans le passé lointain durant un bon moment, en coutumiers de ces « va et vient » dans le temps, sans oublier qu’un jour… notre tour viendra.
C’est Louis qui a construit ma tombe. Il s’est appliqué, en m’imaginant admiratif de son travail, vu de l’intérieur.
Je me réjouis, en « propriétaire » viager inhabité, sans bouquet ni rente. Mon bien deviendra effectif le jour de mes funérailles.
Parfois je pars en visite. Tel un orant* qui s’incline sur le gisant, je médite sur le sommeil éternel de celui qui ne git pas encore ici. J’adore me surprendre, m’amuser tant qu’il est encore temps, faire des pieds de nez à la mort, même si c’est joie futile face au combat perdu d’avance.
Moi, je ris, lui pas trop. Il n’aime pas l’humour qui évoque l’outre tombe.

Lorsque vous entendrez le pic épeiche tambouriner contre un arbre, songez qu’il cherche nourriture et peut-être tente-t-il aussi de réveiller une vieille histoire enfouie au fond de votre mémoire… Laissez-vous aller à cette musique et vous trouverez.
– Ah, oui ! Je me souviens !
Admettez que je vous l’avais dit 😉
*Le gisant=statue qui évoque une personne morte, un orant représente une personne vivante, souvent en prière.

J’ai repéré deux morceaux de pied de veau, en haut vers la gauche.
J’adore !
Après tout autant se régaler avant d’aller dans le trou ! je connaissais le pic épic et collegram mais le pic épeiche ferait fortune dans mon jardin au nombre de fourmis qui l’habitent !
belle journée Simonu
Je ne loupe aucune occasion de me régaler, Gibu.
Le pic épeiche se plait bien ici, il visite souvent mon noyer en face de ma fenêtre mais ne se laisse pas facilement tirer le portrait.
Bonne journée Gibu !
eh bien là il était trop concentré pour se cacher 😉
Très émouvante et symbolique de ce temps là, cette scène que l’on imagine très bien, tous ces hommes du village solidaires qui déblaient la neige pour dégager le passage au nouveau bébé…
Par contre je ne saisis pas le rapport avec l’oiseau…
Il tambourine sur l’arbre et moi sur le clavier, je voyage…
Et puis on s’en fiche, c’est ainsi que je gambade, il fut un temps pas si lointain, vous me disiez « on s’en fiche » à tout bout de champ…
Le rapport est une accroche, une légèreté qui m’éloigne de l’esprit rationnel qui m’animait…