L’homme, animal social, malgré le besoin des autres, vit dans sa solitude.
Il aime à sa manière, il déteste à sa manière, toujours singulier parce que c’est lui… et puis un jour s’en va tout seul dans la plus grande incertitude. Dans l’absence de l’essentiel, le sens de la vie, mais que donc est-il venu faire là pour s’en aller sans savoir ?
Tous les hommes grandissent dans ce leurre permanent et tous n’en sont pas conscients.
Je crois que j’ai rencontré la solitude absolue.
L’inconscience, l’absence du sens fondamental des choses de la vie, des autres et du monde.
J’ai vu des yeux vides qui ne cherchent même plus à voir, interdits de regarder parce qu’ils ne savent plus à quoi ils servent. Des paupières fermées comme des rideaux baissés pour occulter tout ce qui vient de l’extérieur. Un store qui se relève péniblement et à moitié seulement, sans savoir pour « quoi voir ». Regarder n’existe plus car l’intention s’est éteinte. Un réflexe, sans doute, qui réagit à un mouvement, une caresse sur la main, un murmure ou simplement un timide rappel de la vie.
Un enfermement total, seule contre la folle qui exhibe sa faux et fait durer une lutte perdue d’avance.
C’est difficile d’assister à l’agonie.
La souffrance s’éternise sans que nous n’ayons la moindre possibilité d’agir pour adoucir les dernières relations parentales. Une autre souffrance, morale, frappe celui qui veille, puisque de puissants sédatifs sont administrés pour soulager la malade. Un simple spectateur, inopérant, inutile, impuissant se recueille sur une fin de vie. Il ne sait plus.
Il s’évade en déroulant le film de son existence comme un recours au passé pour contrecarrer l’insupportable spectacle de la vie et de la mort qui se chamaillent puis bataillent.
La mort et la vie, tels deux chiffonniers en mal de partage, se disputent les derniers restes animés. L’une inflige le râle, l’autre puise mécaniquement un bol d’air dans une profonde inspiration, inlassablement cherche son souffle. Le vivre et le mourir se sont empoigné au coin d’un corps fatigué qui ne parvient plus à trouver le repos. L’affrontement est féroce. Le corps grabataire est à portée de coups tordus sans la moindre défense, obligé de subir et d’attendre. Attendre quoi ? Il ne sait pas.
Les bips et les clignotants des machines s’énervent, déboussolés, ne sachant plus à quoi ils servent. L’état d’urgence est partout. Quelle urgence ? Celle de vivre encore ou celle de mourir ? Il est trop tard pour retrouver la conscience et le soulagement. Il est trop tard pour retourner dans le vivre et la beauté des choses.
Dans la nuit qui passe, on ignore ce que sont ses idées.
Est-elle en communication avec la tortionnaire ? Est-elle en lutte ? Songe-t-elle à la vie ou à lâcher prise définitivement ? Que le temps doit être long pour elle, s’il existe un brin de lucidité et de conscience !
Maman est seule. Elle ne sait pas qu’on l’accompagne. Une présence dérisoire, on croit que c’est la fin.
On n’en sait rien. Sa solitude est absolue et la nôtre aussi. Celle qui n’a plus ni mémoire, ni envies, ne dit rien, celle qui assiste au spectacle sans aucun secours possible… Nous parlons et imaginons à sa place. Un jour, peut-être, nous connaîtrons cette autre solitude, personne n’en saura rien. Le moment est secret et le reste définitivement.
Dans le silence d’un être se cache l’indicible que l’on croit pouvoir dire pour lui. On imagine, on affirme… Oui, oui, je sais, je l’ai vue…
Rien ! Rien d’autre pourtant, fors l’impuissance et l’incertitude de pénétrer la solitude absolue.
Quelques jours plus tard dans la nuit calme, le téléphone a sonné, c’était fini.
Cette solitude des derniers instants encore plus énigmatique que celle de toute une vie restera secrète, muette à jamais…
On dira, on dira, encore on dira… et on n’en sait rien.
Une fin de vie, des jours difficiles qui vous placent devant une réalité impénétrable, une réalité visible et dont on ne sait rien.
On s’interroge, on fait philosovie et puis le long fleuve pas tranquille, par calmes coulées, cascades et méandres, reprend son cours vers la mer ou l’océan, se perd dans une immensité pour abriter le souvenir…
Je vais dire une banalité mais c’est ainsi, on nait et on meurt seul puisque chaque destin est unique. Entre les deux, l’amour, l’amitié, la solidarité sont rassurants mais illusoires.
C’est la manière théorème de le dire aussi, j’en ai fait une confiture 😉
C’est mieux que mon rata un peu sec 😉
J’étais dans l’état d’âme parce qu’au cœur du mouvement., l’occasion rêvée pour illustrer un théorème. 🙂
« Regarder n’existe plus car l’intention s’est éteinte ».
Parfois et de plus en plus souvent, dès avant l’agonie, cette phrase me reviendra.
Elle était déjà là, mais je ne l’avais pas bâtie, pas formulée aussi synthétiquement.
A te relire.
Une grande aventure à vivre, notre futur départ. Seuls en sont exclus ceux qui perdent leur lucidité. Est-ce mieux ? ça se discute !