Les personnes qui ont mieux connu nos deux boulangers auront, sans doute, un autre regard et d’autres images plus précises. Je ne raconte que ce que je crois avoir perçu de ces gens…
Achillu et Paula Maria étaient boulangers. Ils tenaient leur commerce dans leur habitation dans une sorte de cul d’sac, le four se trouvait juste en face de l’entrée, abrité par une cabane en bois.
Paula Maria était au pétrissage et Achillu au four. Il allumait son foyer une ou deux fois par semaine, je n’en suis plus très sûr. Ma tante avec qui je vivais attendait ce jour « di u pani casanu (1) » pour faire sa provision. C’était son pain préféré parce que cuit au feu de bois. Je n’étais pas de son avis, je préférais celui de l’autre boulangerie, pourtant sorti du four chauffé au lance flammes à mazout ( ?), appelé me semble-t-il gueulard à fioul. Achillu alimentait son feu avec des planches pour avoir des flambées qui emplissaient la totalité du four en léchant toute la voute.
Leur pain était plus lourd que celui des autres boulangeries, n’ayant sans doute pas perdu toute son eau à la cuisson. La croûte était ferme, dure et épaisse, la mie très compacte. En pressant cette dernière entre les paumes on pouvait en faire une boule souple mais pesante qui n’aurait rien à envier aux balles de flash Ball. Grâce à son humidité encore présente à cœur, ce pain se conservait plus longtemps au fond de la maie. Il m’est arrivé de constater que la partie tranchée se recouvrait parfois de moisissure verte si la conservation se prolongeait trop. L’humidité et la « confination », sans doute, dans un meuble étanche censé le préserver, en étaient la cause.
En tous cas, ma tante très friande d’hostie, n’aimait que celui-là et se trouvait fort marrie lorsqu’elle en manquait. Le village était partagé, il y avait les inconditionnels de ce pain et ceux qui ne l’aimaient pas du tout. Cette scission était très marquée au point d’alimenter les commentaires du pour et du contre, parfois avec passion. On ne peut pas dire que la préférence faisait l’unanimité pour la tradition.
Le samedi, le boulanger était de sortie, reconnaissable de loin à son allure de bonhomme mi nonchalant, mi déterminé avec son éternel béret sur la tête. Il allait de son pas incertain de maison en maison procédant par quartiers. Il portait à son bras une panière remplie de canestri (2) recouvertes d’un torchon toujours nickel dont le pli du repassage était encore très marqué. Son slogan était invariable et vantait la qualité de sa production du jour, nettement meilleure que la précédente. Il pointait son nez dans l’entrebâillement d’une porte, s’annonçait et pénétrait dans la pièce en disant : « Â ! Comè oghji u n’agjhiu mai fattu ! (3) » Son panier se vidait rapidement, il repartait se ravitailler et filait à la vente de sa marchandise annoncée en perpétuelle amélioration, dans un autre secteur. La fois suivante, il démarchait d’autres quartiers, de sorte que les amateurs de « canestri d’Achillu » ne s’en lassaient jamais, il assurait une fréquence raisonnable pour les maintenir en attente.
Presque habillé comme un facteur, il a déambulé ainsi toute sa vie et n’a jamais varié sur le slogan de sa réclame. Il procédait de la même manière pour faire de la pub à son fils, coiffeur fraîchement installé au village en se montrant persuasif, vantant ses parfums nouveaux arrivés du continent et son savoir-faire venu d’ailleurs.
C’était un personnage attachant qui a travaillé sans relâche ne connaissant la retraite que lorsqu’il était usé jusqu’au croûton. Le four à bois s’est éteint avec Achillu et Paula Maria, des gens qu’il me plait d’évoquer aujourd’hui.
Je viens d’entendre à l’instant aux infos, un candidat au bac dire qu’avec internet, il avait l’impression d’apprendre sans travailler en répondant à des quizz, le plus souvent par oui ou par non. Je crains que ce ne soit l’impression d’apprendre qui prenne le pas sur l’impression de travailler si j’en juge par les logiques qui ne sont plus ce qu’elles étaient et le labeur qui faisait dire lorsqu’on se plantait : c’est le métier qui rentre.
Entre nostalgie et plaisir de faire revivre un temps révolu, j’aime animer, quelques lignes seulement, des personnages qui ont jalonné mon enfance, me laissant ce regard encore émerveillé et attendri de gens qui incarnaient la vraie vie. C’est ma manière de leur sourire et faire savoir au lecteur que je n’ai rien oublié en lui offrant cette évocation de « gens d’avant » dans notre village.
1- Pani casanu : pain fait à la maison, confection limitée
2- Canestri : gâteau en forme de couronne, mi sec typique de chez nous.
3- « Comme aujourd’hui, je n’en ai jamais fait »
J’ai souvent manger ce pain car ma grand mère le trouvait » u piu bonu ».
Par contre je ne me souviens pas tres bien du four.
moi aussi j’ai souvent mangé le pain d’Acchillu je revois encore son four lorsqu’ il a ete demoli j’ai eus un petit pincement au coeur
Achillu et Paula-Maria. Ces braves gens vous accueillaient avec un sourire grand comme le Monde (comme on dit chez nous) dès que vous franchissiez leur porte. Débonnaires, toujours aimables. Il est vrai que les clients des vieux artisans boulangers se faisaient rares vers la fin de leur vie. On allait chez eux acheter le vrai pain à l’ancienne, pêtri à la main, enfourné dans le vieux four à bois ! Comme tu l’écris si justement, Simon, ce savoir-faire était hérité des siècles précédents. C’est l’artisanat boulanger traditionnel qui à disparu avec eux, sous nos yeux. Années 60, tout-début des années 70, J’en étais témoin, Achillu et Paula-Maria oeuvraient encore pour ce pain quotidien, toujours servi avec le bon coeur et une parole aimable à l’accueil (nous étions, de plus, parents)…
Merci pour l’article. J’adore le pain cuit par des flammes de mazout, moi aussi. Merci aussi pour la photo du four. Avez-vous des recettes pour des pains faciles à faire?