Je ne tenais plus !

Cela faisait plus de quatre-vingt-dix jours que j’attendais ce moment ! Presque cent, rendez vous compte, je n’en pouvais plus d’attendre…

Aujourd’hui ce fut jour de cocagne.  Quel plaisir ! Le pied total.

C’était un de ces jours où vous explosez d’avoir trop attendu. Le mauvais temps s’est éternisé, toutes les prévisions étaient moroses. Quand reviendront-elles ? Vous savez le temps passe ! On vieillit et puis on vous oublie alors que vous avez encore tant de plaisir à recevoir et à donner. 

Cela faisait quelques jours que je ne tenais plus en place. Je savais que c’était imminent : j’allais enfin pouvoir me lâcher et tout lâcher, le ressort était trop tendu, il fallait que ça pète. Je n’osais pas encore. Non par timidité, mais par incertitude. Allais-je me tromper, saurais-je les faire sauter ? Les chauffer comme il faut pour qu’elles puissent exprimer toutes leurs envies ? Je ne savais pas et j’hésitais…

Je prends de l’âge, mais je garde la tête au vert et le reste aussi.
Je veux encore, trop pense-t-on, mais pas moi. Pour moi ce n’est jamais trop d’aimer la vie, de la solliciter, de la pousser à s’exprimer encore et encore.
Hé dites ! Nous ne sommes pas arrivés au bout du bout ! Il parait que le bout est toujours là, tout près, il guette. C’est son affaire, moi, je ne m’en préoccupe pas.

Alors, je me suis dit : tant pis si j’éclate. Tant pis si je suis déçu, au moins, j’aurais essayé et elles ne m’en voudront pas, les tant attendues.  Aujourd’hui, je peux, demain, dans un mois ou dans un an, je n’en sais rien. Vous savez vous ? 

Je me suis décidé, j’y vais.
Ce matin à la fraîche, je suis parti à la rencontre. Je peux vous garantir qu’elles ne s’y attendaient pas. Elles étaient encore pimpantes, vivifiées par les dernières rosées. Je n’y suis pas allé avec mes gros sabots, je les ai regardées d’abord. Elles ne disaient rien et ne savaient pas… Moi, j’avais très envie et cette fois-ci, je n’irai pas par quatre chemins, je les prendrai qu’elles le veuillent ou non, qu’elles soient prêtes ou non.

Elles étaient trois : Charlotte, Aliénor et Franceline. Toutes douces, sans une ride, la peau bien fraîche… vous savez, cette peau fine qui cède sous le doigt. Une peau jeune que l’on n’ose pas trop toucher de peur de la froisser.

Je vous jure que je les ai chouchoutées. Toutes les trois. J’ai été très doux en les lavant. Aucune, n’a été rebelle. Je crois qu’elles adoraient ma caresse, la promenade de mon pouce qui glissait délicatement, juste pour les faire frémir un peu.
Je les imaginais, les yeux fermés, un léger frémissement et des « Encore ! Encore ! » à voix suave à peine susurrée…

Lorsqu‘elles furent prêtes à aller plus loin, je les ai huilées en les faisant tourner dans ce bain luisant, puis salées, poivrées, emparfuées de thym frais… et sans rien dire, je les ai enfournées… vingt minutes seulement sur une plaque sans bords.

Encore bien chaudes, elles ont explosé sous le palais. Elles ont tout donné. Leur sel, leur fondant, cette saveur incomparable d’une jeune pomme de terre qui refuse de devenir vieille frite, seulement.

Oh là là ! Que la vie est belle et bonne lorsqu’une simple pomme de terre vous parle autrement.

Au fond, des Charlotte, des Aliénor, des Franceline on en croquerait en chair et en os… mais là, c’est une autre récolte. Et lorsque l’on sait qu’Amandine, Bernadette, Désirée, Agata, Rosabelle et Coquine courent les champs, il y a vraiment de quoi perdre la tête.

J’aime bien la perdre un instant… et de toutes les manières…
J’adore !

Une autre fois.

6 Comments

  1. Oui, le zhibou, il est comme ça Simonu, et c’est pour ça qu’on l’aime, avec sa passion pour la vie, ses émerveillements jamais blasés, sa coquinerie qui dériderait les plus renfermés.
    Pensez donc, de petites patates tout juste sorties de terre accompagnées des bon soins du Maître de l’Arastaca, on salive devant ! 🙂

  2. Excitation bien légitime, chouchoutées avec tant d’attention et d’amour ; au bout la jouissance, le plaisir enfin partagé ; elles vous rendent ce que vous leur avait donné : elles sont belles, appétissantes, sans doute ont elles été délicieuses et dégustées, préparées avec l’intensité des préliminaires.
    De ma place, l’envie !
    L’art du bien manger et l’art du bien vivre ; le plaisir de cultiver, cuisiner : amour du partage.
    Qu’elles sont belles Les choses de la Vie !

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